Il est des évènements que leur rayonnement trop secret ne
rend pas détectables par les antennes à spectaculaire de la machine médiatique mais qui pourraient bien être de ceux dont restera, plus
tard, une trace. Et souvent, au milieu d’une assistance allant de
maigrichonne à franchement clairsemée lors de rencontres avec des écrivains, je
me dis que ce sont ces moments, ces rencontres, ces oeuvres surtout qui peuvent nous permettre de ne pas sombrer dans le
désespoir et le décervelage généralisé (qui n’a même plus besoin d’être voulu
autoritairement puisqu’il est engendré par le système).
Alors, oui, la rencontre d’hier
soir, lundi 23 octobre 2006, à la Maison des Écrivains à Paris, autour de cet
écrivain important, rare et « absent » le plus souvent qu’est
Frédéric-Yves Jeannet, fait partie de ces évènements. Il faut en remercier
Sylvie Gouttebaron la directrice de la Maison des Écrivains et Carine Toly
responsable des rencontres.
Sylvie Gouttebaron qui ouvre la
lecture en présentant les différents protagonistes : l’écrivain donc et
autour de lui pour le présenter et l’interroger Bertrand Leclair, journaliste à
la Quinzaine Littéraire et Robert Guyon avec lequel Frédéric-Yves Jeannet vient
de réaliser un très beau livre, aux éditions Argol présentées par Catherine
Flohic, leur créatrice.
Le prétexte de la rencontre est en
effet la parution d’un nouveau livre dans la belle série Les Singuliers créée
par Catherine Flohic : il s’agit de mêler en un seul ouvrage la vie et l’œuvre,
autour d’un dialogue entre un interlocuteur choisi et l’écrivain, un dialogue
qui peut embrasser tous les domaines de la vie et de l’œuvre et qui est enrichi
de textes (anthologie), de documents (iconographie) pour former un ensemble
très vivant (on se souvient du
magnifique Jude Stéfan réalisé par Tristan Hordé dans cette collection).
Outre le Jude Stéfan sont déjà parus dans la collection un Paul Nizon et tout récemment un Philippe Beck et donc ce
Frédéric-Yves Jeannet, rencontre avec
Robert Guyon. Catherine Flohic annonce aussi pour le printemps un Jacques Roubaud,
rencontre avec Jean-François Puff.
Puis c’est au tour de Bertrand
Leclair, fervent lecteur de F.-Y. Jeannet de présenter l’auteur, évoquant ces
premiers textes parus en revue (Minuit) dès 1975 alors que l’auteur n’a que
seize ans et le premier livre, Si loin de
nulle part, paru en 1985, remarqué par quelques lecteurs seulement. C’est
en 1997 avec la publication de Cyclone
que F.-Y. Jeannet apparaît vraiment sur la scène littéraire, présence confirmée
avec la parution de Charité en 2000, « même
geste que Cyclone, combat spirituel (Rimbaud) qui vise à une forme de survie en
quête de beauté, étrange et prégnante beauté recousue » et livres
construits sur une polyphonie qui « permet d’échapper au piège de l’intime ».
Bertrand Leclair revient aussi sur les trois volumes d’entretiens réalisés par
l’écrivain avec Michel Butor (à qui le lie une amitié qui remonte à son
adolescence), Hélène Cixous (qui est présente dans la salle) et Annie Ernaux et
bien sûr aussi sur ce tout nouvel ouvrage réalisé en compagnie de Robert Guyon.
Il retrace les grands traits de l’existence, fugue rimbaldienne à 17 ans,
départ au Mexique provoqué par la lecture de Malcolm Lowry puis aujourd’hui la
Nouvelle Zélande, soulignant qu’ici « textes et vie sont si étroitement
liés qu’ils en deviennent équivalents ».
Vient ensuite un beau moment de
lecture où l’écrivain donne les premières pages de son futur livre qui s’intitulera
(peut-être !) Voyager léger et
qui devrait paraître au printemps 2007 s’il arrive dans ce délai à le ramener
des 700 pages qu’il compte aujourd’hui à 350 environ.
Robert Guyon évoque ensuite le
projet du livre paru chez Argol : à l’origine une initiative de Catherine
Flohic auprès de F.-Y. Jeannet, qui choisira lui-même son interlocuteur auquel
il va donner toute latitude de l’interroger dans tous les domaines, aussi
largement qu’il le désire. A noter que tout cet échange se fera par le mail et
constitue une « véritable aventure littéraire et amicale » et qu’il s’est
inventé au fur et à mesure. Les deux hommes se connaissent depuis très
longtemps, alors que le tout jeune Frédéric débarquait à Mexico où vivait
Robert Guyon, de dix- sept ans son aîné. Relation paternelle au début mais dont
R. Guyon montre comment elle s’est inversée par la suite lorsque F.-Y. Jeannet
a commencé à publier et qu’il a pu comprendre l’envergure de son œuvre. Robert
Guyon va jouer un grand rôle auprès de l’écrivain, lisant les multiples
moutures de chaque livre, conservant même certaines versions manuscrites. On
découvre en passant que F.-Y. Jeannet illustre souvent ses manuscrits, y
collant des photos, des documents divers et c’est l’occasion pour R. Guyon de
revenir sur le rôle de Catherine Flohic dans la réalisation du livre, elle qui
a trouvé de nombreux documents inédits.
C’est donc un livre « entièrement
virtuel », livre des antipodes, les principaux protagonistes étant
éloignés de 19 000 kms et échangeant par voie électronique.
De quelques questions
Quelques questions seront ensuite
posées à l’écrivain qui lui permettront de revenir sur ses techniques de
composition (ce terme est vraiment à mon sens celui qu’il faut employer pour ces
livres où la musique joue un rôle majeur) ; sur la nécessité pour lui de
trouver une structure, qui fut le Messie de Haendel pour Charité, un cadran d’horloge pour Cyclone et qui est un calendrier sur 25 ans pour Voyager léger, structures qui lui permettent
de monter ensuite les diverses éléments, souvent fragmentaires et issus de sources
différentes, déposées dans de véritables « strates de temps ».
Avec une insistance constante sur
la pénibilité du travail d’écriture, passés ce que Bertrand leclair appelle des
« épiphanies », moments de surgissement heureux mais qui doivent être
repris dans un travail de composition extrêmement douloureux et difficile. Où
surgit un « personnage » important des récits, la malle noire où sont
entreposées toutes les sources de la composition, carnets et écrits de diverses
époques qui sont ensuite réécrits et combinés en un vrai travail de « couture,
de superpositions des temporalités »
Je laisse la conclusion, didactique
et nécessaire, à Robert Guyon qui revient sur le livre d’entretien disant qu’il
peut être une belle introduction à l’œuvre pour ceux qui ne la connaissent pas
encore mais révéler beaucoup de choses à ses familiers.
©Poezibao
Photos ©florence trocmé, de haut en bas Frédéric-Yves Jeannet, Sylvie Gouttebaron, Catherine Flohic, Bertarnd Leclair et Robert Guyon puis F.-Y. Jeannet, Bertand Leclair et Robert Guyon. Les photos sont agrandissables par clic sur l'image.
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