Ted Hughes étant choisi aujourd'hui pour l'anthologie permanente de Poezibao, je redonne cette note de lecture publiée en 2002 ailleurs.
Je précise que en dépit de son titre, il s'agit d'un ouvrage en langue française
Lui, Ted Hughes, poète anglais renommé, disparu en 1998.
Elle, Sylvia Plath, sa femme pendant sept ans, qui s'est suicidée en 1963. Les Birthday Letters : une somme de quatre
vingt-huit lettres-poèmes adressées de façon posthume par Ted à Sylvia,
dessinant un poignant parcours dans leur mémoire à tous les deux. Lettres
écrites le plus souvent au moment de l'anniversaire du décès de Sylvia Plath
par un homme qui fut accusé d'avoir contribué à son désespoir et à son suicide
(ils s'étaient séparés peu de temps auparavant) et qui s'était toujours tu
avant de publier ce recueil, peu de temps avant sa propre disparition. A lire
ces missives déchirantes, entièrement dominées par l'ombre de la mort annoncée,
on se demande comment on a pu porter une telle accusation contre lui. Elles
expriment un tel deuil, un tel amour, une telle conscience du désespoir de
Sylvia, une telle culpabilité rétrospective aussi de n'avoir pas su déchiffrer
tel ou tel signe ! Presque toutes adressées
directement à Sylvia Plath, ce qui les rend encore plus bouleversantes, elles
explorent différents moments, anecdotes ou thèmes de leur vie commune, leur
rencontre, les voyages, la naissance de leurs deux enfants, certains évènements
emblématiques de la vie de Sylvia, la figure de son père ou de différents
proches, avec tout un jeu de références à ses poèmes à elle, jeu qui reste sans
doute un peu étranger à qui ne connaît pas intimement son œuvre mais sans que
cela nuise vraiment à leur compréhension (des notes de la traductrice
permettent d'ailleurs de comprendre les allusions les plus obscures).
Mais ces lettres pourraient n'être qu'un témoignage. Or
elles sont infiniment plus que cela, en raison de leur beauté et aussi de cette
façon très particulière qu'a Ted Hughes de se colleter avec la mort, avec le
non-sens, avec l'impuissance à être deux devant ce désespoir. Elles en prennent
une immense dimension poétique et humaine qui incite à l'émotion comme à l'
admiration. Un homme qui est un grand poète met son cœur à nu, explore toutes
les dimensions subconscientes d'un drame, donnant un caractère mythique à des
évènements ordinaires, les transfigurant en les plaçant sous le signe écrasant,
omniprésent, de la mort à venir. Dimension mythique mais aussi tendresse, comme
en témoignent quelques passages absolument déchirants sur leurs deux enfants
"je portais les bébés, j'attendais que tu reviennes parmi nous".
Une lecture exceptionnelle.
©Florence Trocmé
Ted Hughes
Birthday Letters
Gallimard 2002
Quelques
extraits :
"Nous n'avions toujours pas appris que les jonquilles ne sont pas
L'immortalité, mais son reflet seulement. Ni reconnu
Le vol nuptial des éphémères, les plus rares :
Nos propres jours !
(p.146)
*****
"Que puis-je te dire que tu ne saches pas
De la vie après la mort
Les yeux de ton fils, qui nous troublaient tous les deux,
Avec la bride slave, asiatique
De tes paupières, et qui allaient devenir
D'une manière si parfaite tes yeux,
sont devenus des joyaux humides,
la substance la plus dure de la douleur la plus pure,
Lorsque je lui donnais à manger
Sur sa chaise haute peinte en blanc.
De grandes mains de chagrin essoraient encore et encore
Le chiffon humide de son visage. Elles essoraient ses larmes.
Mais sa bouche te trahissait – elle acceptait
la cuillère tenue par ma main désincarnée
Habitée par la vie qui t'avait survécu.
Jour après jour sa sœur devenait plus pâle
A cause d'une blessure
Qu'elle ne pouvait ni voir ni toucher ni sentir, une blessure
que chaque jour j'habillais d'une petite veste de marin bleue.
[...] (p. 202).
Une
journée, pour toi,
C'était vingt-quatre échelons d'un escalier de secours
suspendu, spirale vertigineuse au-dessus du néant,
Menant au néant.
(p. 85).
Ted Hughes, Birthday
Letters, Gallimard 2002.
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