Dossier Max Jacob
(dossier composé par Tristan Hordé)
1. Ce qu’ils en ont dit (Leiris,
Cadou, Apollinaire, etc.
2. Biographie et bibliographie
3. textes
- Ce qu’ils ont dit de Max Jacob
Autoportrait
L’on a souvent répété que Max Jacob était bon. Oui certes, il fut bon, très
bon, mais il faut ajouter que cette bonté fut si entière qu’elle le portait à
se montrer impitoyable dès qu’il s’agissait d’atteintes à la forme, la belle
forme que de son art prestigieux ne définit aucune loi. Il fallait faire comme
lui : de la poésie pure et innocente avec ce qui bouge simplement dans la
vie. Rester attentif, modeste et blanc. Les syllabes lancées en l’air, si
l’astre qui vous guide est vigilant, retombent et marchent. Abolir l’orgueil,
aimer ce qui est aimable, croire, croître. C’est cette simplicité qui l’a fait
inimitable. Mais c’est surtout la religion, cette foi intrépide et ferme, cette
pratique, cette solitude heureuse. Ainsi bonté ne s’appelait plus bonté si elle
se dépensait à rebours des intentions. Je me rappelle un jeune homme, 6, rue
Gabrielle, qui était venu le trouver pour lui soumettre des rimes inspirés par
des sujets tels que la politique. « Fermons la fenêtre, avait dit Max, je vais vous plonger un poignard dans le
cœur. »
Il lui démontra que sa chose
était exécrable, qu’il valait mieux ne pas faire de poésie que d’en faire de
pareille, qu’il y avait peut-être là les éléments de quelque chose, mais qu’il
fallait abolir ceci, abolir cela, et donner de l’importance au contraire à ce
qui avait été aboli qui était probablement l’essentiel tout près. Donc, savoir
discerner l’essentiel au lieu de le fouler, première chose. Ensuite la poésie
c’est vivre. On ne l’a pas sans un élémentaire savoir qui n’est ni plus ni
moins que le savoir-vivre. Cela on l’apprend s’il vous fait défaut.
Ce discours était long et cruel.
Je ne savais où me mettre. Ce jeune, à sa place, je l’eusse éconduit décemment.
Lui, ne voulait pas. Il le voulait dépecer. C’était la forme que revêtait ce
jour-là son immense bonté. Dieu sait si maintenant je l’approuve.
Charles Albert Cingria, dans La Parisienne, n° 4, 1953,
repris dans Ouvres complètes, tome X, édition L’Âge d’Homme et Mermoz,
s. d., p. 201.
Max Jacob a écrit toute sa vie ce
que d’autres poètes bouffons, depuis l’origine des sociétés, ont parlé à haute
voix. Les Fous plus sages que le sage, les amuseurs plus graves que les graves,
les tresseurs de fatrasies et les vielleux de galimatias, les tourneurs de
complaintes et les railleurs macaroniques, les imitateurs insolents et les
derviches moqueurs, c’est presque toujours dans les marges de la société, dans
les « mauvais lieux », de la cour des miracles au Théâtre de la
Foire, du cabaret au music-hall, qu’ils ont tendu le fil du funambule où ils
miment, en jouant à trébucher, la démarche des grands, la marche de chacun, et
la chute de tous. Max Jacob fait faire son entrée moderne dans les lettres
imprimées à une grande tradition orale. Le clown blanc au maillot rose se mue
en écrivain. La littérature parlée, ou le livre du colporteur, l’almanach des
calembredaines et de satire sociale deviennent la littérature tout court.
Max Jacob situe toute littérature
– et la sienne – dans l’ensemble de notre vie. Il apprécie le littérateur et
l’artiste : mais il y a aussi l’avocat, l’abbé, le concierge, la
demoiselle professeur au lycée de Cherbourg, le conseiller municipal, le
policier, le marin, le maroquinier, l’employé de l’entrepôt Voltaire, tous les
personnages de ses romans, du Cinématoma, du Cabinet noir. Il
sait que la sensibilité de l’art n’est pas la seule, ni peut-être la plus
humaine. Nul ne l’a plus vive que lui, qui « trempe son roseau dans le
sang de son cœur ».
Max Jacob (essai d’un portrait)
Dans Le Cornet à dés, Max
Jacob a donné son livre le plus important jusqu’ici. Son inspiration y est
variée à l’infini, depuis l’ironie jusqu’au lyrisme, qui se mêlent de façon
inattendue dans ces poèmes en prose. Peu d’auteurs ont plus que Max Jacob de la
liberté vis-à-vis d’eux-mêmes et des autres. Cela lui permet de disposer d’une
somptueuse fantaisie où tout trouve sa place, sauf la tristesse et la
désespérance.
« Tout ce qui existe est
situé. » Phrase liminaire de la préface très classique qu’en 1916 Max
Jacob écrivait pour Le Cornet à dés [...]. Prendre au mot Max Jacob et
tenter de le situer, lui, classique par sa maîtrise de la langue, la limpidité
de son style et sa volonté rarement démentie d’organiser le texte en une claire
composition, mais romantique par le baroque d’une invention qui va du plus
grave au plus burlesque, l’appel fréquent à l’expérience vécue (fût-ce dans la
vie seconde d’un rêve ou d’une rêverie), la profondeur viscérale du sentiment
et l’ouverture sans réticence aux grands aveux, situer cet homme aux facettes
si nombreuses, mais chez qui le souci artiste, les abandons passionnés et le
désir primordial de vraie vie apparaissent finalement fondus en une
bouleversante unité, est une tâche épineuse pour l’essayiste quel qu’il soit et
pire encore, cela va sans dire, pour celui qui ne dispose que de quelques
pages.
Michel Leiris, « Tout ce qui existe est situé »,
dans Zébrages, Gallimard, Folio-essais, 1992, p. 119-120.
Max Jacob, ou la grâce. Si la
poésie dit quelque chose à l’homme – quelque chose que ne lui disent pas le
roman, ni la philosophie – ce doit être ceci : que tout soit nouveau.
C’est à cela, il me semble, que
l’on reconnaît le poète, à cet appétit démesuré de nouveau, jusqu’à l’ivresse,
jusqu’à la folie parfois. Alors ce n’est pas affaire de quelques
adjectifs, ni recherche de quelques impressions particulières sur l’esprit du
lecteur, mais désir de changer le monde, et pour cela de changer le langage, de
se changer tout entier, de se retourner. Au plus profond, il y a ce désir,
comme un qui perdrait son enveloppe humaine et revêtirait la parure de l’ange,
ou comme un qui se perdrait dans le gouffre de sa propre géhenne. Le chamane,
au moment de l’extase, entend venir vers lui les esprits, dans un bruit de
galop, dans une rumeur inconnue qui l’angoisse et le ravit. Puis, le moment
venu, il se sépare de lui-même, il prend son vol au-dessus du monde.
Max Jacob appartient à cette
famille d’hommes, Apollinaire, Desnos, Artaud, Joë Bousquet, pour qui
l’expression poétique n’est pas celle d’un moment, mais de toute la vie. Elle
délivre dans la souffrance et dans la joie un secret fermé au cœur, un secret
qui est toute leur raison d’être. Écrire, alors, c’est tenter
d’ »extérioriser », comme le dit Max Jacob, tenter de rendre visible
ce secret, pour le partager. Cette poésie est incantatoire et divinatoire, elle
est débordement sur le futur.
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2. Biographie
et bibliographie
Biographie :
Max Jacob Alexandre est né en
1876 à Quimper. Il entre à l’école coloniale en 1894 à Paris et commence des
études de droit (il obtiendra sa licence). Sous le pseudonyme de Léon David, il
signe à partir de 1899 des articles de critique d’art. Il vit d’emplois
provisoires pendant des années. Il rencontre Picasso (qui s’installe chez lui)
en 1902, Apollinaire et André Salmon en 1904. Sa conversion au catholicisme
date de 1909, après une apparition du Christ, mais il ne sera baptisé, sous le
nom de Cyprien, qu’en 1915, avec Picasso pour parrain
De 1903 (Histoire du Roi
Kaboul Ier et du marmiton Gauwain) à 1917, année du Cornet à
dés, ses livres sont presque tous édités à compte d’auteur. Le Cornet à
dés lui vaut immédiatement l’hommage de jeunes écrivains comme Malraux,
Aragon, Artaud. Max Jacob écrit dans la revue de Reverdy, Nord-Sud, et
collabore à la revue Littérature, qui deviendra l’organe des
surréalistes. En 1920, il expose ses gouaches à la galerie Bernheim
Il s’installe en juin 1921 à Saint-Benoît-sur-Loire,
siège d’une abbaye bénédictine, pour y vivre dans la religion sans pour autant
être complètement dans la solitude : il reçoit des visites (Leiris,
Dubuffet), retourne en Bretagne (1922), voyage en Italie (1925), donne des
conférences à Madrid (1926). Il retourne à Paris en 1928, manque d’argent et
vit grâce à des conférences et, surtout, au soutien d’amis. Il rejoint
Saint-Benoît en 1936.
Viennent la défaite de 1940 et,
surtout à partir de 1942, la chasse aux Juifs. Plusieurs membres de sa famille
sont arrêtés et lui-même le sera en février 1944. Emprisonné à Orléans, il est
ensuite transféré au camp de Drancy où il meurt d’une pneumonie le 6 mars 1944.
Bibliographie :
Le Géant du soleil.
La Côte.
Saint-Matorel, illustré par Picasso ; réédition Gallimard, 1936.
1912 Les Œuvres burlesques et Mystiques de Frère Matorel mort au couvent de
Barcelone ; réédition Gallimard 1936.
1914 Le Siège de Jérusalem,
illustré par Picasso ; réédition Gallimard, 1936.
Les Alliés sont en Arménie.
Le Cornet à dés ; Poésie/Gallimard, 1978.
Le Phanérogame ; réédition Gallimard, 1968.
La Défense de Tartufe.
Le Cinématoma ; réédition Gallimard, 1929.
Dos d’Arlequin, illustré par l’auteur.
Ne coupez Mademoiselle ou les erreurs des PTT ; 4 lithos de Juan
Gris.
Matorel en province.
Isabelle et Pantalon, opéra-bouffe.
Le Laboratoire central ; Poésie/Gallimard, 1980.
Le Roi de Béotie ; réédition Gallimard, 1980.
Adès.
Art poétique ; réédition L’Élocoquent, 1988.
Le Cabinet noir ; réédition Gallimard, l’Imaginaire, 1978.
Filibuth ou la montre en or ; réédition Gallimard, 1968.
Le Terrain Bouchaballe ; réédition Gallimard, 1964.
Visions infernales ; réédition dans Ballades, Gallimard,
1970.
L’homme de chair et l’homme reflet.
Les Pénitents en maillots roses ; réédition dans Ballades.
Le nom.
Fond de l’eau ; réédition dans Ballades.
Sacrifice impérial ; réédition dans Ballades.
Tableau de la bourgeoisie, illustré par l’auteur.
Rivage ; réédition dans Ballades.
Bourgeois de France et d’ailleurs.
Morceaux choisis.
Chemin de croix infernal.
Ballades ; réédition Gallimard dans Ballades, 1970.
Publications posthumes :
Conseils à un jeune poète, suivi de Conseils à un étudiant.
Derniers poèmes en vers et en prose ; réédition Poésie/Gallimard, 1982.
1947 En février 1942, Max Jacob
écrivait.
1948 Le Symbolisme de la Face
1949 Le Miroir d’astrologie, en
collaboration avec Claude Valence.
Romantische.
Trois quatrains.
Poèmes de Morwen le gaélique.
Correspondance, tome I
Théâtre I. Un amour du Titien. La Police napolitaine.
Le Cornet à dés II.
Correspondance, tome II.
Chroniques des temps héroïques, avec 3 pointes sèches et 24 dessins de
Picasso.
À bâtons rompus, avec 5 eaux-fortes de Villon.
L’Homme de cristal.
Le Terrain Bouchaballe, pièce.
Max Jacob/Léon David, Chroniques d’art, 1898-1900.
1996 Actualités éternelles,
poèmes, édition présentée par Didier Gompel-Netter et annotée par Marcelle
Gautrot, éditions de La Différence.
Il faut ajouter 4 Recueils de méditations et de très nombreux ensembles
de correspondance, avec par ordre alphabétique :
Marcel Béalu : Lettres à M. B., E. Vitte, 1959.
Jean Cocteau : Correspondance avec J. C., 1917-1944,
Paris-Méditerranée, 2000.
Jean Colle : Lettres à J. C., 1923-1943, Mémoire de la Ville,
Douarnenez, 1996.
Bernard Esdrass-Gosse : Lettres à B. E-G, Seghers, 1953.
Florent Fels : Lettres à F. F., Rougerie, 1990.
Lionel Foch : Lettres à L. F., éditions Apogée, 2006.
Nino Frank : Lettres à N. F., P. Lang, 1989.
Charles Goldblatt : L’amitié : lettres à C. G., Le Castor
astral, 1994.
Robert Guiette : Lettres à R. G., éditions des Cendres, 1996.
Jean Grenier : Lettres à un ami, correspondance avec J. G., Le
Temps qu’il fait, 1992.
Edmond Jabès : Lettres à E. J., éditions Opales, 2003.
Marcel Jouhandeau : Lettres à Marcel Jouhandeau, avec quelques lettres
à Madame Marcel Jouhandeau et à Madame Paul Jouhandeau, Droz, 1979.
Michel Leiris : Lettres à M. L., Honoré Champion, 2001.
Michel Levanti : Lettres à M. L., Rougerie, 1975.
André Level : Lettres à André Level, Quimper et Université de
Brest, 1994.
Jacques Maritain : Correspondance avec J. M., Université de Brest,
1999.
Pierre Minet : Lettres à P. M., Calligrammes, 1988.
Jean Paulhan : correspondance avec J. P., 1915-1941,
Paris-Méditerranée, 2006.
Liane de Pougy : Lettres à L. de P., Plon, 1980.
René Rimbert : Lettres à R. R., Rougerie, 1983.
Roger Toulouse : Lettres à R. T., Troyes, Librairie bleue, 1992.
les Salacrou : Lettres aux Salacrou, 1923-1926, Gallimard, 1957.
René Villard : Lettres à R. V., Rougerie, 1978.
ensemble auquel on ajoute :
Correspondance : les amitiés et les amours, lettres réunies par
Didier Gompel Netter, éditions du Petit Véhicule, 2003, 3 tomes.
Études :
André Salmon, Max Jacob poète, peintre, mystique et homme de qualité,
1927.
Yvon Belaval, La rencontre avec Max Jacob, 1946, réédition Vrin, 1974.
Louis Émié, Dialogues avec Max Jacob, Corréa, 1954, réédition Le Festin,
1994.
Jean Rousselot, Max Jacob au sérieux, Subervie, 1958.
André Billy, Max Jacob, Poètes d’aujourd’hui, Seghers, 1960.
Robert Guiette, Vie de Max Jacob, Nizet, 1976.
René Plantier, L’Univers poétique de Max Jacob, Klincksieck, 1976.
Lina Lachgar, Max Jacob, album, Veyrier, 1981.
Christine Van Rogger-Andreucci, Poésie et religion dans l’œuvre de Max Jacob,
Honoré Champion, 1990.
Christine Van Rogger-Andreucci, Max Jacob acrobate absolu, Champ Vallon,
1993.
Max Jacob, poète et romancier, actes du colloque de Pau, 25-28 octobre
1994, texte réunis par Christine Van Rogger-Andreucci, Presses universitaires
de Pau, 1995.
Max Jacob et la création, textes réunis par Arlette Albert-Birot,
éditions Jean-Michel Place, 1997.
Max Jacob à la confluence, actes du colloque de Quimper, 21-23 octobre
1994, textes réunis et présentés par André Guyon, Bibliothèque municipale de
Quimper et Université de Brest, 2000.
Lina Lachgar, Arrestation et mort de Max Jacob, éditions de La
Différence, 2004.
Max Jacob et l’École de Rochefort, sous la direction de Jacques Lardoux,
Presses de l’Université d’Angers, 2005.
Béatrice Mousli, Max Jacob [biographie], Flammarion, 2005.
Numéros spéciaux de revues :
Le Disque vert, n° 2, novembre 1923.
Cahiers du Sud, "Passage de Max Jacob", n° 273, 1945.
Simoun, nouvelle série, "Tombeau de Max Jacob", n°
17-18, 1957.
Europe, n° 348-349, avril-mai 1958.
Io, n° spécial, "Pour en revnir à Max Jacob", 1969.
Cahiers du Centre de Recherches Max Jacob, n° 1-10, 1978-1988,
Université de Saint-Étienne.
Revue des Lettres Modernes : Max Jacob, n° 1 : Le poème en prose
(1973), n° 2 : Romanesques (1976), n° 3 : Spiritualité de
Max Jacob (1981).
Nocturne
bruit des barques la nuit, des rames...
bruit d’un serpent dans les roseaux,
d’un rire étouffé par les mains,
bruit d’un corps lourd qui tombe à l’eau
bruit des pas discrets de la foule,
sous les arbres un bruit de sanglots,
le bruit au loin des saltimbanques.
Max Jacob, Les Pénitents en maillots roses (1925), dans Ballades,
Gallimard, 1970, p. 217.
Le roman
Il n’y avait jamais eu qu’un rez-de-chaussée bourgeois pour moi : c’est deux petites fenêtres à Quimper ouvertes sous un petit balcon. En revenant du collège, nos regards étaient là. Un jour, pour se venger de quelque farce, on jeta de la fenêtre de l’encre sur mon pardessus. Quelle méchanceté ! des perles violettes ! je tins le poignet coupable et j’attirai dehors la hanche d’une femme sous un peignoir. Cette femme devait, un jour, être la mienne.
Ma vie
Te voilà averti !
Sans Lumière la chambre !
sans porte ni fenêtre ! sur un lit, il souffre de tous les coins de son
pauvre corps. Aucun espoir d’un secours, d’un soulagement. Aucun espoir qu’il
mourra même de ses maux. Aucune fin pour cette chambre noire, cette
insoutenable maladie, ce hurlement d’accouchée. Jamais plus rien d’autre.
Max Jacob, Visions infernales (1924), dans Ballades, Gallimard,
1970, p. 41.
Le sommeil
Au Cher Igor
Markevitch
Veilleur de nuit, veilleur de nuit,
Dans les rais d’argent de la nuit.
Qu’y a-t-il de plus pauvre que l’homme endormi ?
La nuit ne caresse pas. Ô prison de la nuit !
Mais la pensée est une eau froide
Qui tombe sur ton cadavre vide.
Qu’y a-t-il de plus pauvre que la pensée ?
Elle féconde la misère de l’homme endormi.
Elle arrose la tête, elle l’ensemence.
Pitoyable être, je n’ai compris ton silence
Que dans le sommeil. Pas de dimanche
Pour le sommeil impitoyable de l’homme nu,
Même le songe n’est pas à lui.
Terne oreiller, ô dure terre pour mon épaule,
Songe mystère qui vient du pôle
À l’arbre qui rêve, à l’arbre qui dort,
Pareil est notre sort.
Veilleur de nuit, veilleur de nuit,
L’océan ne fait aucun bruit.
Voici la voile qui s’étale
Le bateau du lac de Stymphale.
Tamponnez le môle du sommeil
Rame nocturne, sabot, je m’éveille.
Max Jacob, Rivage (1931), dans Ballades, Gallimard, 1970, p.
175-176.
Fils de rois
qui volent par sept et par quinze
se retournaient vers l’enchanteur
que j’étais avant que tu vinsses
Les fleurs sont toutes mes esclaves
les rois morts sont mes protecteurs
les diamants étaient le conclave
à qui je contai mes douleurs.
Dans un pays de clair-obscur
mes jeux d’enfants avec les fées
habillaient de pois de senteur
Juliette et trente coryphées,
filles du conte et de l’adage
écumes de tous les caps Nord
mers de merveille et de naufrages –
Sept années m’ont pris mes remords
Océan, prends mes coquillages
ô vent, les fleurs de nos cheveux
l’automne a pris tous les feuillages
le temps n’aura pris mes aïeux.
Max Jacob, [1935], dans Actualités éternelles, éditions de La
Différence, 1996, p. 185
Madame la Dauphine
Fine, fine, fine, fine, fine, fine,
Fine, fine, fine, fine,
Ne verra pas, ne verra pas le beau film
Qu’on y a fait tirer
Les vers du nez –
Car on l’a mené en terre avec son premier né
En terre et à Nanterre
Où elle est enterrée.
Quand un paysan de la Chine,
Shin, Shin, Shin, Shin, Shin, Shin,
veut avoir des primeurs
Fruits mûrs –
Il va chez l’imprimeur
Ou bien chez sa voisine
Shin, Shin, Shin, Shin, Shin, Shin,
Tous les paysans de la Chine
Les ayant épiés
Pour leur mettre des bottines
Tine ! tine !
Ils leur coupent les pieds.
M. le comte d’Artois
Est monté sur le toit
Faire un compte d’ardoise
Toi, toi, toi, toi,
Et voir par la lunette
Nette ! nette ! pour voir si la lune est
Plus grosse que le doigt.
Un vapeur et sa cargaison
Son, son, son, son, son, son,
Ont échoué contre la maison
Son, son, son, son.
Chipons de la graisse d’oie
Doye, doye, doye,
Pour en faire des canons.
Le Laboratoire central, Poésie/Gallimard, 1980, p. 119-120.
Itinéraire du Père Lachaise
où dort celle que j’aimais
chaque soir que le soir tombe
j’y vais prier en secret
Ô trottoirs toujours neufs
magasins lisses comme un œuf
Je suis Aluminium amincis, extraminces
Je suis messageries l’étranger la province
et moi je suis trente deniers
peintre poète et chansonnier
qui oserait me le dénier
Un cèdre ombrage la tombe
où dort celle que j’aimais
chaque soir que le soir tombe
j’y vais prier en secret
Ailleurs le haut-parleur des gares
« Les voyageurs pour Nice ou Nantes ou l’aventure »
« Les voyageurs pressés par la mort en voiture »
Et je voyais mon ange assis dans les premières
Seigneur ayez pitié de notre fourmilières
L’Homme de cristal, Gallimard, 1967, p. 112.
Ruine
Trois morceaux de tarte sur un coin de commode et sur une assiette. À cela, on voit que cette boutique fut une pâtisserie. Il paraît qu’il y eut là une boutique. Combien de fois les cloisons de plâtre furent avancées ! Il ne reste plus que la place d’un lit et ce lit même. Trois poils de barbe sur un coin de visage ! Trois coins d’un miroir brisé ! Il s’examine, c’est le fils de la maison : il n’y a plus de maison ! Un veston neuf ajusté à la taille. Un chapeau de paille sur le coin d’une oreille. Trois vieux faux-cols désempesés ont servi de serviette à sa toilette. On sort ? Il regarde... Personne ! le désert avant d’arriver à la plage déserte.
Derniers poèmes en vers et en prose [1961], Poésie/Gallimard, 1982, p.
112.
Rédigé par : françois Denizot | vendredi 16 janvier 2009 à 20h14
Rédigé par : Pascale | mercredi 07 novembre 2007 à 16h00