LA FIN ET LE COMMENCEMENT
Après chaque guerre
quelqu'un doit faire le ménage.
L’ordre quel qu'il soit
ne se fera pas tout seul.
Quelqu'un doit repousser les gravats
sur les bords des routes
pour laisser passer
les voitures remplies de cadavres.
Quelqu'un doit s'embourber
dans la fange et la cendre,
les ressorts des canapés,
les échardes de verre,
et les chiffons sanglants.
Quelqu'un doit traîner une poutre
pour soutenir le mur,
quelqu'un doit vitrer la fenêtre
et raccrocher la porte sur ses charnières.
Ce n'est pas photogénique
et demande des années.
Toutes les caméras sont parties déjà
pour une autre guerre.
Il faut refaire les ponts
et les gares.
Les manches vont s'effilocher
à force d'être retroussées.
Quelqu'un, le balai à la main,
se souvient encore comment c'était.
Quelqu'un écoute
acquiesçant de sa tête non arrachée.
Mais déjà à côté d'eux
il y en aura
qui vont s'ennuyer.
Quelqu'un parfois encore
déterrera de dessous un buisson
des arguments rongés par la rouille
et les portera sur un tas d'ordures.
Ceux qui savaient
de quoi il s'agissait ici
doivent céder la place
à ceux qui en savent peu.
Et moins que peu.
Et enfin rien du tout.
Dans l'herbe qui a recouvert
les causes et les effets,
quelqu'un doit se coucher,
un épi entre les dents,
et bailler aux corneilles
dans les nuages.
Wislawa Szymborska, Dans le fleuve d’Héraclite, traduction de Christophe
Jezewski, Maison de la Poésie Nord/Pas de Calais, 1995, p. 203
Wislawa Szymborska dans Poezibao :
Note
bio-biliographique, extrait
1, extrait
2, extrait
3
Ajout effectué le 22 décembre. Une lectrice de Poezibao que je remercie très vivement m'a envoyé une autre traduction de ce poème, par Piotr Kaminski, parue aux éditions Fayard en 1996
Après chaque guerre
il faut bien nettoyer.
Un peu d'ordre dans tout ça
ne se fera pas tout seul.
Quelqu'un poussera les gravats
sur les côtés des routes,
pour qui puissent passer
les charrettes de cadavres.
Quelqu'un devra patauger
dans la fange et les cendres,
dans les ressorts des divans,
dans les débris de verre,
dans les haillons sanglants.
Quelqu'un doit traîner la poutre
qui calera le mur.
Quelqu'un doit replacer la vitre
et regonder la porte
Tout ceci n'est guère photogénique
et dure des années.
Toutes les caméras sont déjà
parties voir une autre guerre.
Il faut des ponts encore
et des gares à nouveau
Les manches seront en lambeaux
tant on les retroussera.
Quelqu'un, balai à la main,
se souvient comment c'était.
Quelqu'un d'autre écoute
opinant du chef qu'il n'avait pas perdu.
Mais tout près de ces deux-là
tournent déjà quelques autres
que leurs histoires embêtent.
Parfois encore quelqu'un
déterre sous un buisson
de vieux arguments rouillés,
et les jette sur le tas d'ordures.
Ceux qui sont au courant
du pourquoi du comment
céderont bientôt la place
à ceux qui en savent peu.
Puis à ceux qui en savent prou.
Et enfin, rien du tout.
Dans l'herbe qui couvrira
les causes et les effets
il faudra que quelqu'un se couche
un épi entre les dents
à regarder les nuages.
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