Henry David Thoreau
(par exemple) : les manches retroussées de sa chemise, il fait le tour de
l’étang merveilleux, qui est un lac en fait, il entre en sympathie avec tout, l’ondulation
de l’eau, les oiseaux, le vent, le bruit feuillu des peupliers, la luminosité
vive des ablettes (je dis le premier nom de poisson qui me vient), la très
lente poussée des haricots ou juste de l’herbe. Bien sûr, donc, la promenade ne
date ni de Baudelaire, ni de Whitman. Les romantiques et pré- ne se sont pas
faits faute d’y recourir, et même on pourrait dire (on l’a dit) que ce fut leur
lieu privilégié. Mais c’était très clair pour tous : leur promenade :
toujours solitaire. On y marche à la rencontre de soi, ou de la pensée, de la
nature, parfois de dieu, des dieux, parfois de leur absence, du deuil d’eux, de
la continuité sans borne du silence, parfois de la simple économie du monde c’est-à-dire
de sa marche tranquille, de ses règles de reproduction, du miracle artisanal
des choses. On s’extrait des autres hommes pour vivre l’expérience d’une
rencontre, d’une contemplation, d’une extase, d’une perte qui est absolument
singulière, et d’une certaine façon, qualifie le poète comme poète, le désigne
comme homme d’exception. On se métamorphose presque en une chose de la nature :
le nuage par exemple, la feuille chassée par le vent, le vent lui-même, l’oiseau,
le haricot qui pousse – quelque chose qui porte et devient le mouvement pur, le
souffle de l’esprit, l’errance vers sans doute un ancien savoir. Tandis que W. &
le dernier B., au contraire, inscrivent la promenade parmi les hommes : elle
est chez eux une inclusion plutôt qu’un isolement. Elle est chez eux une
lourdeur de corps plutôt qu’une légèreté d’âme. Bien sûr, Baudelaire croit
encore un peu aux foutaises (les correspondances) mais pas assez pour ne pas
devoir poser qu’il y a aussi et surtout autre chose : la ville, la foule,
les choses simples. Pas assez pour ne pas devoir accomplir sa tâche :
repeupler le silence, le monde vide, énumérer la population des trottoirs, qu’il
apprend à regarder de près, à arpenter avec un léger dégoût encore mais une non
moins ébahie fascination : des gens, il y a des gens. La chance de Whitman
est d’avoir commencé par là. Pour lui la poésie s’éveille et c’est déjà l’aube
du peuple et d’une certaine façon ton visage.
Stéphane Bouquet, Un peuple,
Champ Vallon, 2007, p. 12
Pour marquer la sortie de ce livre de Stéphane Bouquet,
qui vient de paraître aux éditions Champ Vallon
Voici ce qu’il en dit lui-même au dos de son recueil :
« un homme marche dans les allées d’un cimetière : Walt Whitman, John
Keats, Ovide, Virginia Woolf, entre autres tombes. Il se demande ce qu’est la
poésie. il se sert dans les morts pour élaborer des réponses. D’une certaine
manière, il essaie de se glisser dans leur brouhaha, il répète ce qu’il
comprend : par ex. rendre la vie vivante, telle est la tâche que la poésie
s’assigne parfois. Ou bien : trouver des égalités et des ressemblances
dans le monde genre x roses = une certaine somme d’argent. Ou bien, parfois, la
poésie attend comme une dingue un Tu et encore plus un Vous qui lui laisse
ouvrir entièrement les draps du poème. »
bio-bibliographie
de Stéphane Bouquet
Revenir à la Une de Poezibao
Sur simple demande à [email protected], recevez chaque
jour l'anthologie permanente dans votre boîte aux lettres électronique