
La conversation chez
Lipp
Le cercle Aliénor recevait ce samedi 10 février 2007
Jean-Michel Maulpoix. Au cours d’un riche entretien avec Alain Duault, il est
revenu sur quelques-unes des idées-forces qui l’animent en tant que poète et
qu’essayiste travaillant sur le thème de la poésie
Plus qu’à une interview, c’est à un entretien, dans le beau sens du mot, que
les auditeurs du cercle Aliénor furent conviés par Alain Duault et Jean-Michel
Maulpoix. En présence, deux poètes, le premier, Alain Duault, musicologue,
réalisateur de nombreuses émissions radio et TV sur la musique mais aussi
écrivain. De l’autre Jean-Michel Maulpoix, figure du monde de la poésie
contemporaine, professeur, essayiste (le dernier essai en date, Adieux au poème, et poète)[1]
Après un court « prélude », Alain Duault s’est
livré au jeu des questions, « 25 questions, en lisant Jean-Michel
Maulpoix ». Je ne saurai sans doute rendre compte de l’intégralité
foisonnante de cet entretien mais tenterai ici d’en donner un aperçu aussi riche
que possible
Prélude
Bien sûr, le mot était choisi à dessein par Alain Duault qui
a ouvert la conversation avec l’évocation d’une œuvre du musicien américain
Charles Ives, inaugurant en 1906 la modernité avec La Question sans réponse : une question posée six fois de
suite par la trompette en sourdine à laquelle répond un quatuor de flûtes de
plus en plus grinçant, tandis qu’à la fin les cordes tissent une sorte de
linceul harmonique. La poésie, n’est-ce pas creuser au cœur de la langue pour
poser une question qui la dépasse ? A l’heure des « langues de
communication » envahissantes, « la poésie n’a-t-elle plus pour
objet que ce que les langues ne savent plus ?»[2]. Ne lui
faut-il pas se jeter à corps perdu dans ce nouvel inconnu, sans grammaire
préétablie, car « cela à quoi jadis mythes et religions se chargeaient
d’apporter leur lot d’images et de réponses, il importe au poème d’en poser
vivement la question » ? [3]
Mais « la loi inhérente à tout poème est la recherche désespérée,
quoique désespérée, de la beauté »[4]. Question
sans réponse au cœur de la poésie, à laquelle Jean-Michel Maulpoix s’efforce
de réfléchir dans ses essais, notamment Du
Lyrisme, Le Poète perplexe, Adieux au poème. Mais aussi comme poète d’Une Histoire de bleu ou de L’Instinct de ciel. Car sa « rumination »
le conduit à tenter d’ouvrir une perspective nouvelle pour
l’écriture poétique, permettant d’espérer un « repeuplement ». Sauver
l’idée de poésie, la confiance en une respiration possible de la langue.
Programme exaltant auquel Jean-Michel Maulpoix répond en mettant la poésie au
cœur d’une activité critique :
« la poésie met le langage en état critique »[5]
En premier lieu, cette salve : d’où viens-tu, à quel
moment as-tu commencé à écrire et que lisais-tu ?
De Franche-Comté sera la première réponse du poète, entre
Vosges et Jura, « né dans un couloir géographique et social ». Son
père est un « journaliste de province », que très tôt l’enfant
accompagne un peu partout. Sa découverte de la poésie se fait « en
vrac », ce qu’on lui donne à lire au collège, au lycée, ce qu’il trouve à
la maison, Paroles de Prévert par
exemple. Quant à l’écriture, elle apparaît dès huit ou neuf ans, d’abord par jeu, par plaisir de s’emparer des mots
et de s’amuser avec eux. Plaisir ludique et concret qui s’exprime dans ce premier
poème dédié à un petit établi de menuisier reçu en cadeau ! Puis vient le
temps d’une première « cristallisation », celle de l’adolescence,
écriture pour soi, se confier à soi, s’analyser, le temps du narcissisme. Qui
débouche vite sur un troisième temps, « reconnaître l’écriture comme
activité en elle-même ». Premiers essais sur la machine à écrire paternelle,
premier recueil « publié » en classe de troisième et surtout
fascination pour le livre et les écrivains.
A la question de la forme, la réponse est un inventaire de
tout ce que le jeune Maulpoix produisait alors : des proses, des pages de
journal, des tragédies (à partir de la vie des grands personnages et des héros
des livres de la collection Mythes et légendes qu’il dévorait). A 15 ans il
écrit ainsi une pièce Coriolan, riche
de 200 vrais alexandrins ! Un mélange donc de prose autobiographique, de
vers de tragédie et déjà d’une poésie lyrique.
Rupture ou
crise ?
Est-ce que la poésie implique rupture avec la tradition ?
Jean-Michel Maulpoix énumère en premier
lieu quelques contre-exemples, Saint John Perse, Valéry, René Char et précise
qu’il n’a jamais adhéré à l’idée que la poésie impliquait forcément une
rupture. Il préfère retenir le terme de crise.
Soulignant que la place de la crise dans la biographie de nombreux poètes est
un sujet insuffisamment étudié : Valéry et sa nuit de Gênes, Ponge,
Claudel, Rimbaud, Michaux, Cendrars. Comme si l’expérience poétique, au moins à
ses débuts, s’accompagnait d’une fragilisation du sujet. Avec ce constat que
l’écriture poétique accompagne souvent de près la crise du sujet.
A la question « qui dit Je dans la poésie ? », le poète répond « c’est
moi » et ajoute après un moment de silence « et tous mes
autres », soulignant que cette question de qui parle est centrale dans la poésie, où ne joue pas l’écart entre
auteur, narrateur et récit du roman. Qu’est ce qui occupe à part entière le
poète, qui parle dans le poème ? Revient la « question sans
réponse », adossée à celle du lien
entre sacré et poésie. L’écrivain évoque ici ses rencontres avec des enfants à
qui il parle d’abord des mots, les plus usuels, qui permettent de s’entendre
sur les choses puis de ces mêmes mots qui peuvent nommer « un couteau sans
lame auquel il manque le manche », donc qui donnent accès à ce qui n’est
pas. Mort ? Infini ? « De la langue battue en neige par un
semblant de sens ».
La question du lyrisme, centrale chez J.-M. Maulpoix, vient alors
sur le tapis ! « Le poète insiste, ne chante pas, il interroge, il
veille sur la question […] cherche le pourquoi du chant ». Notion à
redéfinir que celle du lyrisme, en raison de sa « connotation
avachissante ». Il prône en fait un lyrisme critique, notion creusée tant
dans les essais que dans les textes poétiques. Il faut tenter de comprendre
« à quels enjeux répond le poème, pourquoi il perdure aujourd’hui ? ».
Ce mot de lyrisme ? Un néologisme tardif, une notion qui a « mauvais
genre ». Et cet aveu que le poète en lui y a beaucoup résisté. Évocation
de Flaubert, le premier prosateur à adopter le terme, parlant dans sa
correspondance du « double abime du lyrisme et du vulgaire » mais
disant aussi « j’aime tant le lyrisme, il est pour moi la forme
naturelle de la poésie », loin donc des « embêtements bleuâtres du
lyrisme poitrinaire » ! Jean-Michel Maulpoix se définit comme
« héritier de cette convoitise et de cette résistance ». Dans son
travail sur le bleu, il a « cité à comparaitre de nombreux éléments, tout
ce bleu adorable, Vierge Marie, croyance, infini, azur, mer, lointain ».
Mais aussi le blues. Le bleu, « couleur-valise dans laquelle s’additionnent
les données fondamentales d’une existence, ce qui nous tire vers l’ailleurs,
vers autre chose, l’instinct de ciel
(Mallarmé) ». Le lyrisme critique tente à la fois de valoriser son objet
et de l’interroger. Le poète évoque aussi l’équilibre à trouver entre un
abandon relatif au langage et une retenue, entre confiance et vigilance
critique (il dira plus loin à quel point le critique en lui gêne souvent le
poète !).
A qui parle la poésie ? « Elle parle d’abord à
quiconque ou au quiconque en soi ». Le ton se fait alors insensiblement
plus personnel. Conduit à parler de deux livres Domaine Public « livre très bousculé par l’intime » puis
de Pas sur la neige, l’écrivain
invoque la figure de sa grand mère et raconte comment il a éprouvé ce besoin de
lui dresser un « petit tombeau », de lui rendre ce qu’il lui doit, à
elle qui lui a appris à lire mais qui portait une douleur dont elle lui a
transmis l’héritage. Il relate ce colloque
Valéry, en Allemagne, où Didier Sandre a lu des textes de Valéry « tes
pas, enfant de mon silence… et où le pianiste Jeff Cohen a joué Des Pas sur la neige de Debussy. Dans un
lieu magnifique, château sur un lac, neige partout lui est soudain venue l’idée
d’un recueil intitulé Pas sur la neige,
recueil qu’il écrira pendant la canicule de l’été suivant, menant des
recherches sur Debussy, la perception de la neige à son époque, les
impressionnistes, etc. « Comment dire la neige ? Comment dire un
flocon (poétique du flocon) ? ». Mais en même temps « attraper
quelque chose de très intime, des pas sur la neige, de qui sont ces empreintes
laissées ? » avec surgissement de la figure de la grand-mère :
« les pas de l’écriture m’ont conduit là mais je n’ai pas voulu appuyer
davantage » « Écrire à l’encre blanche presque sans bruit, neige, le
nom d’autre chose, neige, du ciel tombé
Et la beauté ? Est-elle une « ardente
obligation » de la poésie ? Comment en effet renouer avec la beauté
sans que ce soit artificiel ou réactionnaire. Comme valeur en jeu dans le
travail de l’écriture, dans la « chercherie » (Baudelaire). Avec liée
à la question de la beauté, celle de l’obscurité. A quoi le poète répond qu’il
cherche « des lignes claires sur fond d’obscurité », que l’écriture
est un « travail au noir. Opacifier de la blancheur, mettre des pas sur la
neige ». « L’homme poursuit noir sur blanc
La poésie est-elle une forme de résistance aux atteintes à
la langue ? « envers et contre tout ». Oui, c’est un « élément
imprescriptible, le poème s’en occupe avec soin, détermination,
délicatesse » dans le « tunnel de l’époque »,[6] le
milieu obscur, hostile, paralysant contre lequel il faut poursuivre. L’époque
n’est pas porteuse en effet pour les écritures poétiques. Tout décourage, manque
d’audience, problèmes de l’édition, violences des conflits et des relations.
« Tout ce qui règne dans ou sur l’époque est opposé à ce que cherche à
poursuivre la poésie ». Mais à une politique de la tour d’ivoire, J.-M.
Maulpoix préfère opposer un « durcissement de l’interrogation ».
« Le poème est un petit organisme qui a sa clarté, poursuit obstinément
son questionnement et par là même est résistant ».
Il faut donc « mettre en observation ce temps,
continuer de dire son contraire, souligner l’instinct
de ciel ».
©florence trocmé
Photos ©florence trocmé, de haut en bas : 1. Alain Duault à gauche et Jean-Michel Maulpoix à droite ; 2. Alain Duault ; 3. Jean-Michel Maulpoix