Parfois, dans le
défilement quotidien des jours, dans cette tâche la plupart du temps matinale,
chaque jour de l’année, de choisir un extrait poétique pour l’anthologie
permanente de Poezibao, advient
quelque chose d’autre. Admiration, intérêt, curiosité sont presque toujours là.
L’émotion, esthétique, artistique, humaine aussi, souvent.
Aujourd’hui, de façon
totalement inattendue, c’est d’un sentiment bouleversant que je voudrais rendre
compte. Un choc, mais un choc doux, si cet oxymore peut faire entendre ce que
je ressens. Né de la lecture de Fini mère
de Gérard Haller.
Ce livre est un
cheminement avec les mots vers la mort qui arrive, celle d’une mère. L’emmêlement
des mots de cette mère, dont la langue est l’allemand et ceux du fils, les mots
du fils dans son for intérieur. Le tressage de ces deux mondes, les mots,
rares, presque litaniques de la mère, la lumière, la mort, la vie, beau, tous
en allemand, Licht / Tod / Licht, mais aussi Herz
(le cœur) ou Himmel (le ciel), un
vocabulaire comme réduit à l’essentiel et d’autant plus fort qu’il est dans une
langue autre, une langue qui ne peut être qu’étrangère à ce moment-là, car elle
tâte, elle tente d’appréhender ce qui vient et qui bien sûr ne peut être dit.
Et en contrepoint, car c’est véritablement d’une forme de composition au sens
musical qu’il s’agit, Todesfuge,
fugue de la mort, dirait-on presque pour reprendre le titre de Paul Celan, ce
que se dit le fils. Dans une langue qui oscille entre le bouleversement
syntaxique et la tenue, comme si elle-même participait des deux mondes mis en
présence, la vie, la mort.
Livre non pas du deuil, de l’après, mais livre de la
mort en train de venir, de la certitude de la mort qui arrive, livre du passage
de la vie, Leben, à la mort, Tod. La disposition même du texte est
fortement expressive, elle représente le non-dit, elle représente les trous, les
vides, les obstacles insurmontables dans la tentative de rapporter ce qui est en cours. Avec ces
pages, entièrement blanches, où apparaît seulement le mot [noir], dans cette typographie-là, exactement, petites
majuscules et crochets.
Pour moi ce livre rejoint
les très grands livres du deuil comme, pour n’en citer qu’un, quelque chose noir de Jacques Roubaud.
Et si toute écriture est une tentative pour approcher l’indicible de la mort,
mort de soi, mort de l’autre, ce livre est un acte d’écriture au sens plein. Il faut le lire et le relire, il faut l'offrir.
©florence trocmé
Gérard Haller, Fini mère, Galilée,
2007, 16,50 €