Curieusement j’ai le sentiment d’un passage de témoin entre le livre de
Gérard Haller, hier et celui de Françoise Clédat, aujourd’hui.
Mêmes circonstances, un livre reçu, pris en main pour choisir un texte pour l’anthologie
permanente, introduire l’auteur dans le site. Je me trouve happée par la
lecture, d’autant que ce matin, un mail de Pierre Le Pillouër de Sitaudis
attire mon attention sur Le Gai nocher.
Quel livre ! S’ouvrant sous des auspices qui situent d’emblée le propos :
le nocher, mais un nocher qui rit et une « passée », figure projetée du poète qui semble se placer
là à l’avant de la barque, dans le passage
donc il faut bien le noter, pour explorer. Explorer, maître-mot du livre sans
doute, explorer par l’écriture mais aussi invoquer d’autres figures, celles de
voyageurs, d’explorateurs, parfois rapprochés de façon saisissante comme ce
quatuor böcklin / rimbaud / jacques de morgan /emilio salgari. Se placer à la
fois dans l’ombre de la mort et sur la mer, omniprésente mer, le monde des
pirates mais aussi la vague du tsunami, en compagnie de l’infans, de l’enfant,
celui qu’on fut et dont on ne peut se résoudre à se séparer, son enfant, les
enfants du mondes, les noyés, les déportés. L’injection des faits contemporains
est très subtilement pratiquée, rien d’une sorte de figure obligée, plutôt la
trace laissée dans le for intérieur et qui se mêle à tous les autres éléments,
car cette poésie est très complexe dans sa composition, avec un élément de
circularité, y compris dans la syntaxe. Cette dernière semble bousculée mais en
réalité au-delà de dispositions inhabituelles elle suit une logique parfaite, un
véritable fil d’Ariane (sans doute en rapport secret avec la logique de l’inconscient)
de telle sorte que le lecteur n’est jamais perdu, que cette lecture pour être
forte et dérangeante n’en est pas pour autant difficile. Il y a aussi ici une
interrogation sur la production imaginaire, comme une « malaisie inventée »
qui vient se confronter au « réel déchu ». Il s’agit d’ « explorer
comme expier / par domestique fiction la démesure refusée ». Question
récurrente de la légitimité d’écrire, conscience tout aussi présente de l’inanité
de cette entreprise pour celle qui est « tentée d’impossible ligotée / de
possible » (n’y a-t-il pas là une belle définition de la tâche de la
poésie ?).
Le livre ouvert avec la figure du nocher, se referme en sa compagnie.
Comme s’il se déprenait des différents rôles que Françoise Clédat lui a donnés,
jouant sans cesse sur des sortes de glissements d’identité entre les figures
convoquées. Le nocher qui, dit-elle, « désencombre de la promesse des
rôles des actes ».
©florence trocmé
Françoise Clédat aujourd’hui dans Poezibao :
note
bio-bibliographique et extraits
de Le Gai Nocher