La purée !
La première fois que j'ai vu la neige je n'ai pas dit ce mot,
que j'ignorais encore.
J'ai d'abord touché la neige sans savoir que c'était la neige.
Je n'ai pas touché le mot neige, mais quand je l'ai appris je l'ai touché.
J'ai marché dans ou sur la neige en me souvenant de fleurs plus hautes que moi.
J'ai descendu le petit escalier de céramique conduisant à
l'ex-bassin, deviné sous la neige.
Le jardin et le bassin, un carré dans un carré, conservaient leur forme
atténuée.
J'ai fait pipi sur ou dans la neige et me suis amusé des petits cratères.
Je crois que j'ai goûté la neige en croyant encore que c'était de la purée
froide.
Plus tard mon frère écoutait Michka s'en aller dans la neige.
Bien plus tard j'ai vu la photographie d'un homme allongé dans ou sur la neige
l'année de ma naissance.
Je n'ai pas compris tout de suite que la neige était réservée à l'hiver.
Je n'ai pas compris que pour que la neige soit il fallait une certaine
température proche de zéro.
Plus tard j'ai aimé associer neige avec zéro.
Je n'ai pas aimé associer congère avec neige.
En disant la purée je n'ai pas pensé à la pureté, mot qui n'existait pas pour
moi.
Aujourd'hui la pureté me fait penser à la purée et peut-être à la neige à force
de concentration.
Mais j'ai pensé à paysage inviolé avec d'autres mots
informulés.
Bien plus tard j'ai joué Des pas sur la neige sans y arriver vraiment, ni assez
triste ni assez lent.
Je crois avoir pensé aussi que la neige installait un silence spécial, avec
d'autres mots informulés.
Bien plus tard neige est devenue le signe du divin ennui, ou ataraxie.
Aujourd'hui je regrette la neige, la première neige.
Aujourd'hui, 12 janvier, j'aimerais revoir la neige.
Comme l'homme allongé l'année de ma naissance j'aimerais partir dans la neige.
. . . .
Sans autre boisson que la neige, sans autre lit que la neige,
écrit Balzac.
La neige est le négatif de la nuit ou l'inverse.
Si j'étais un poète j'écrirais Hymnes à la neige.
Je crois avoir poussé de petits cris de joie.
Puis je suis retourné à la maison, les couleurs étaient
incompréhensibles.
À l'extérieur de l'intérieur.
Puis j'ai osé jouer avec la neige.
Je me suis redit le mot appris infiniment.
Eric Houser, « La Purée », inédit.
Note bio-bibliographique d’Eric Houser
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