• Pour saluer la sortie
de Partie de Neige, de Paul Celan, édition
bilingue, traduit de l’allemand et annoté par Jean-Pierre Lefebvre.
• En ouvrant ce livre :
livre magnifiquement édité par le Seuil, avec un beau parti pour la version
originale (voir image) ; chaque poème est complété, à part, par une
importante notice qui rapporte la genèse du poème et permet souvent d’en
expliquer les aspects obscurs. Je choisis intentionnellement un poème court et
donne en regard la version originale et la note de Jean-Pierre Lefebvre car chez
Paul Celan « chaque mot, voire chaque syllabe se charge de connotations
infinies et Celan, qui avait commencé en France des études de médecine, aime
employer les termes techniques, si délicats à traduire, les termes spécialisés
de la géologie, de la physiologie, de la mine, de la marine, voire de cette
ancienne technique qu’était l’alchimie » (Jean Lacoste)
• Je signale aussi la
très belle richesse du dernier numéro de la Quinzaine Littéraire en termes de
poésie, avec notamment un article de Jean Lacoste sur ce livre de Paul Celan
(qui a déterminé ma décision de l’acheter !), mais aussi des articles sur
Pierre Reverdy, René Char et Jean-Pierre Faye, respectivement de Marie Etienne,
de Odile Hunoult et de Norbert Czarny. J’y ajouterai un article de Jacques
Fressard sur Silvia Baron Supervielle (QL du 1er au 15 avril 2007,
n° 943, actuellement disponible en kiosque).
• A noter aussi que du
même Paul Celan, traduit et présenté selon les mêmes critères par Jean-Pierre
Lefebvre, on peut lire, en collection de poche, Renverse du Souffle, collection Points.
Archipaillettes de minerai, tout au
fond de l’effervescence, patriarches.
Tu t’en tires
en faisant
comme si, avec eux, parlaient
des angiospermes, leur disant
une parole
franche.
Trace calcaire trompette.
Le perdu trouve
dans les dolines karstiques
pauvreté, clarté.
Erzflitter, tief im
Aufruhr, Erzväter.
Du behilfst dir
damit,
als sprächen, mit ihnen,
Angiospermen
ein offenes
Wort.
Kalkspur Posaune.
Verlorenes findet
in den Kartswannen
Kargheit, Klarheit.
Paul Celan, Partie de Neige, édition bilingue,
traduit de l’allemand et annoté par Jean-Pierre Lefebvre, Seuil, 2007, p. 75.
Note de Jean Pierre Lefebvre,
ibid, p. 143 et 144
[les chiffres renvoient au numéro du vers]
Paris, rue Tournefort, 20
juillet 1968
Écrit le même jour que le
précédent. Publié dans le numéro du Merkur
de décembre 1970*.
[1] Erz est le préfixe qui à la fois traduit le grec archè
(Erzbischhof ; archevêque ;
Erzväter : patriarches) et
exprime une sorte de puissance originelle qui peut servir à construire de
pseudo-superlatifs plutôt négatifs, et c’est aussi le substantif (das Erz) qui désigne le minerai
métallifère en général, et parfois le bronze. Il se pourrait que Erzflitter (consonant avec Erzväter) joue avec ce second réseau
sémantique, dès lors que Flitter
désigne les minces plaques de métal brillant (de flittern : scintiller) cousues sur les vêtements ou des objets
décoratifs (d’où un sens péjoratif dominant qui peut faire système avec la fonction
majoritairement négative du préfixe archi.).
Les patriarches (ou archipères) sont ceux de la Bible : Abraham, Isaac et
Jacob.
[2] Aufruhr connote aussi la révolte.
[6] Les angiospermes sont des semences protégées, recouvertes par une enveloppe
(un fruit). Le manuel de géologie Brockhaus (voir le poème précédent) signale
le rôle fondamental des angiospermes dans le développement « explosif »
(Aufruhr) des formes de vie animale
supérieure : mammifères, oiseaux, insectes supérieurs (p. 472 et 408). Le
terme convoque donc le paradigme de la dissimulation et donne aux vers 5-8 une
dimension paradoxale, mais reprend la figure des mondes premiers convoqués par Moorboden dans le poème précédent.
[11]Kartswannen : outre la
ressource sonore du terme, qui consonne avec les deux suivant (a fortiori associé à Posaune, qui désigne aussi les
trompettes du Jugement dernier), l’univers géologique évoqué est celui des
plateaux calcaires gorgés d’eaux enfouis, dits karstiques, où domine l’érosion
chimique.
*Schneepart, Partie de Neige,
a été publié de façon posthume en 1971, après le suicide de Paul Celan qui s’est
jeté dans la Seine du Pont Mirabeau en avril 1970 (aux alentours du 20 avril
sans doute, son corps n’ayant été retrouvé que le 1er mai).
Paul Celan dans Poezibao :
Celan Paul, extrait 1, extrait 2, extrait 3, extrait 4 (correspondance avec Nelly Sachs), extrait 5
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