Après un passionnant numéro consacré à une autre revue, Change, la revue Faire Part vient de faire paraître son numéro annuel, tout entier dédié à Jacques Dupin.
Sous le beau titre « matière
d’origine », ce fort recueil de 225 pages rassemble des contributions de
poètes, d’essayistes et d’artistes autour du massif de l’œuvre de Dupin dont,
faut-il le rappeler, un des premiers titres s’intitule Gravir.
L’idée sinon la matière d’origine est
née de la proximité géographique de Faire
Part dont le cœur bat au Cheylard, en Ardèche et du poète, né à Privas le 4
mars 1927 et qui y aura vécu à deux reprises dans son enfance, qui surtout aura
été profondément marqué par la nature de ce paysage dont les combes, les pentes,
la pierre, les sentiers sont omniprésents dans ses poèmes.
Ce sont plus de cinquante contributions que l’on peut lire ici et qui pourraient
bien constituer en cette année des 80 ans de Jacques Dupin une magnifique
introduction à son œuvre. Il en va de ce numéro un peu comme d’une pierre dont
les facettes seraient taillées une à une et se révèleraient au fil des
différentes lectures. Lectures ponctuées par quelques inédits de Jacques Dupin,
d’autres d’André du Bouchet et une belle iconographie répartie au long des
pages, avec plusieurs portraits du poète, mais aussi et surtout des œuvres de
ceux qui tiennent une place tellement essentielle dans son œuvre, les peintres.
Au premier rang desquels Tapies, mais aussi Giacometti, Braque, Lam, Miro,
Adam, Alechinsky, Chillida, Titus-Carmel.
Impossible ici de recenser chaque contribution, aussi m’arrêterai-je plutôt sur certaines qui m’ont particulièrement intéressée et puisque j’évoquais le paysage ardèchois à l’orée de cette note, notamment sur l’article « La Bibliothèque de cailloux » de Jean-Patrice Courtois qui explore ce qui dans l’œuvre « lie les pierres et l’écriture, la substance rocheuse et les mots, les parois de toutes sortes et les bibliothèques de toutes formes ». On est là au cœur de cette matière d’origine, de ces « trois opérations, nouées en une figure de passage de la pierre à l’écriture, se partageant l’espace de réflexion autour de cette association : transformation, nomination et déterminations ». On a affaire ici à l’exploration non seulement d’une des dominantes les plus évidentes de l’œuvre mais aussi à une des clés du rapport de Dupin avec les peintres et en particulier Tapiès. L’écriture (ou la peinture) ne se faisant pas tant sur le papier ou sur la toile mais étant « résultat extérieur d’un mouvement qui s’est d’abord battu avec la substance de la pierre et la fluidité du vent ». Thèmes de la faille, de l’éboulement, de l’échancrure, du soupirail, on reconnaît là certaines des grandes obsessions de l’écriture du poète. Matière à explorer sous toutes ses formes puisque Jacques Dupin dans l’un des poèmes qu’il propose ici dit : « je sens que s’étire en moi / la plasticité de la boue ».
Autre temps fort de ce numéro, l’entretien que Alain Freixe a mené avec Jacques Dupin, autour du dernier livre paru, Coudrier, aux éditions POL. Où l’on goûte quelques formules-choc autour de la « haine de la poésie » que Jacques Dupin dit partager avec Bataille et qui signifie pour lui « destruction salubre d’une encombre de scories et de rosiers attendrissants qui font obstacle à la vue et entravent le pas en chemin vers l’inconnu ». Où Jacques Dupin, pourtant avare de ce genre de confidences et sans en faire aucune, explique à quel point chacun des poèmes est en fait tissé d’instants vécus « de lieux traversés, de rencontres et de sensations qui sont actifs dans la mémoire et constituent le matériau profond de l’écriture » puisque ce « qui est perçu de la réalité se dépose et s’affine comme en un gisement » (retour donc au thème géologique de cette écriture !). Et comment ne pas remercier, ici, Jacques Dupin pour cette phrase « La poésie n’est pas le conservatoire de la langue mais tout au contraire le creuset de son renouvellement infini ».
Je marque aussi d’une pierre blanche la contribution de Gil Jouanard intitulée « Qu’es-ce que Dupin pour le fils d’un boulanger originaire du Cheylard ? » ou celle d’Alain Jouffroy disant à quel point « les traces discrètes et persévérantes de Jacques Dupin ont marqué le grand livre invisible de [sa] génération » et comme ce dernier s’est battu avec « les absences impardonnables de la pensée, que la poésie a eu tendance à déserter ». Sur le rapport entre Dupin et Tapiès, on peut lire une longue étude, passionnante, de Valéry Hugotte autour de cette évidence, le mur. Et l’intérêt partagé par les deux « chiffonniers » pour le rebut. Texte critique où l’on découvre, une fois de plus, la richesse d’un véritable dialogue entre la peinture et l’écriture, entre le peintre et le poète, dans un sens comme dans l’autre.
Nombreux comme il est
coutume dans ce genre d’ouvrages sont ceux à tenter une approche, plus ou moins
réussie, par le poème : je retiens ici la belle composition de la rare
Valérie-Catherine Richez. Noter enfin, parmi toutes les richesses de ce
numéro, le court essai « l’épreuve du sens » de Dominique Viart qui
interroge « l’expérience de la difficulté de lecture » et montre la
fécondité de cette dernière : « il faut buter sur les mots, trébucher
sur le sens. S’y reprendre, s’y égarer. Et dans l’égarement, faire l’expérience
d’une autre parole […] Les mots comme des pierres roulent sous les pas et font
dévier la marche volontaire ».
Je ressens comme une injustice de laisser de côté tant d’autres contributions (par
exemple celle d’Isabelle Garron, superbe note de lecture de Coudrier) mais je ne voudrais pas
commettre celle de ne pas citer les deux grands acteurs de cet énorme travail
accompli autour de l’œuvre de Dupin, Alain Chanéac et Jean-Gabriel Cosculluela
(auteurs également de textes de premier plan).
©florence trocmé pour Poezibao
Revue Faire Part
Un numéro double par an
Derniers numéros parus : Ce que
Change a fait (n° 16/17), Hubert
Lucot (n° 18/19), Jacques Dupin,
matière d’origine (n° 20 / 21, ce numéro, 23 €)).
site de la revue