Deux revues au long cours : Conférence, Il particolare
par Ronald Klapka
manquent les mots pour parler comme il faudrait des revues Conférence et il particolare ; ne peut suffire d’être simplement informatif ou obligeamment laudateur : juste donner quelques poteaux indicateurs en espérant que ce seront les bons …
en voici un, leur distribution ne se fait pas essentiellement par la librairie, encore moins par la publicité, mais plutôt par le bouche à oreille, le passage de la main à la main et les abonnés …
il va sans dire que sans l’appui du CNL, sans le bénévolat et la ferveur de ceux qui les réalisent, Christophe Carraud pour la première, Hervé Castanet et Françoise Santon pour l’autre, elles ne verraient même pas le jour
et pourtant elles durent, malgré leur périodicité « anachronique » ou mieux « intempestive » : la semestrialité, malgré leur format, leur épaisseur (sur papier bible, Conférence avoisine souvent les 700 pages), malgré leur éclectisme et leur exigence
sur ce dernier point respect absolu du lecteur, il en a vraiment pour son argent ! et assurément le chant des sirènes « communicationnaires » n’est pas pour lui, il ne s’agit pas « d’en être » à peu de frais, mais de se livrer (la livre de chair !) à un échange véritable
*
Conférence,
consulter son site à l’austérité
intelligente, en est à son 24ème numéro. Composé, structuré comme de
coutume : thème, cahier (textes et « illustrations », essais et
documents, traductions et inédits. Puisque nous sommes sur Poezibao, je pointe donc en priorité et en toute injustice dans le
cahier :
Claude Vigée qui donne à l’épreuve du deuil les mots les plus purs, Bohuslav Reynek (auquel Sylvie Germain a consacré autrefois une empathique biographie), la marcheuse Claude Dourguin (livres aux éditions Champ vallon) et un long passage de Anticipo della notte (Tiziano Broggiato), avec ces deux vers :
o
se saprò superare l’avversa profezia
con la sola forza della
poesia
ou
si je saurai l’emporter sur la prophétie contraire
avec
les seules forces de la poésie
Juste ce rajout, par dilection particulière, parmi les traductions : Le Philosophe de Maria Zambrano (Conférence avait donné le discours de réception du prix Cervantès dans son numéro 14)
*
particolare n’est pas dettaglio ! à preuve :
« Un jour, il apprit que la langue italienne distinguait dettaglio et particolare. Les deux, en français, ont le même sens: détail. Le premier, il dettaglio, désigne le détail au sens de la petite partie d'un tout, secondaire et, à ce titre, sans importance. Il dettaglio, c'est le détail pris dans l'expression: « Ce n'est qu'un détail. » Il particolare, c'est autre chose. Il est ce qui fait style, ce qui indexe l'extrême particularité, rendant, par exemple dans la peinture, tel tableau irréductible à tel autre. Il particolare, c'est le « divin » détail - une signature. Il dettaglio est anecdotique, il particolare toujours singulier. Voilà ce qui faisait la tâche de C: élever un dettaglio à la dignité du particolare. » (Hervé Castanet, Entre mot et image, éditions Cécile Defaut, mai 2006)
Ceci n’est donc pas un dettaglio. Il particolare en est à son numéro 15/16, avec un cahier central consacré au peintre Mathias Perez, lui-même animateur d’une revue somptueuse (ce n’est pas qu’un adjectif !) : Fusées qui a récemment célébré son 10ème anniversaire, ses amis se proclamant ironiquement École du Mans bis (en souvenir de Jacques Peletier du Mans).
Parmi les hommages, celui de Christian Prigent : Corps de gloire, merci les catégories
théologiques ! celle-ci est magnifiquement re-cyclée si j’ose dire eu
égard aux vélocités de son emprunteur. A recommander séance tenante aux jeunes
se destinant aux écoles de Beaux Arts …
Christian Prigent n’a pas volé son MW ouvrage entièrement
manuscrit en deux exemplaires ici reproduit. Jean-Pierre Verheggen s’illustre
particulièrement avec un « Nique ta
mort » bien placé et deux textes ; on trouve les amis : Hubert
Lucot, Charles Pennequin, Cécile Wajsbrot, Jacques Demarcq, et j’en oublie
tandis que Pierre Le Pillouër nous annonce à l’occasion (12 disposable poems) un
I DIDN’T KNOW IF I SHOULD
READ M
OR
DREAM
Il ne faut pas oublier la partie “habituelle” de la revue.
En liminaire, Hervé Castanet (Image – le marbre), « rappelle » aux lecteurs qui ont
abordé son œuvre « qu’image mutique » peut être notre nom de
jouissance. En clair, outre le livre rappelé ci-dessus (Entre mot et image) je fais allusion à ses travaux sur Pierre
Klossowski, et pas seulement le dernier paru chez Cécile Defaut : La pantomime des esprits (voir aussi à La
lettre volée). Beau texte, très beau livre, puissant, oserai-je dire,
dérangeant ? sans doute : oui, dérangeant le désordre établi de la
bien-pensance, plus encore lorsqu’elle se dit (se croit, soupirs …) libertaire
(souvenir : Vous voulez un maître ? Vous l’aurez. (Lacan aux
étudiants vincennois). Hélas, triple hélas, la réalité dépasse le discours. Fin de commentaire
« autorisé »)
J’y reviendrai. Décantation indispensable.
Reparlerai-je de Pierre Le Pillouër ? oui
a little bit, la conclusion de son poème - qui donne à penser
poète de courts
pris de court
épris de court
Je voudrais dire l’intense émotion à lire les poèmes de Julia Darling, j’écris comme ça, poèmes venus du cancer, avec ses trouvailles de traduction (J.D. et sa traductrice, Christine Godbille, aujourd’hui « disparues »)
And
the past. I could have done without the past
rendu par
Et du passé. J’aurais pu me passer.
(Choses qui n’auraient jamais dû advenir)
Il y a mille belles choses à signaler encore : les « notes pour Jean Todrani », JL Nancy et la musique, Deleuze et la politique, Cézanne, JP Cometti. J’élis, aussi arbitrairement qu’on le voudra l’étude empathique, fine, passionnée et toutefois discrète de Jean Arrouye. La faute aux nuages, aux merveilleux nuages ? pas seulement ceux photographiés par Jacques Clauzel, mais ceux qui trouvent leur accord avec les poèmes de Giovanni Dotoli, poète italien de langue française (Mes nuages, éditions Schena, Fasano) . Jean Arrouye met en valeur, en lumière l’équilibre rare entre les photographies et les poèmes, épousant le mouvement de leurs dires respectifs, et il conclut par ce qui fait (juste) titre : L’espérance du sens.
Les rhétoriciens ont du travail. Je me contenterai ô combien de jouir du silence entre mot et image.
un exemple ?
« Un deuxième couple photographie-poème va faire naître cette fois-ci une « émotion » érotique. L'occasion en est la conjonction, dans l'image, du spectacle d'une vigne qui aligne ses ceps du premier plan jusqu'à une colline lointaine et d'un texte qui célèbre sensuellement une présence féminine par le moyen d'images qui parlent de vigne et de ses fruits.
Le
raisin tombait de ta chevelure
L'ambre effleurait tes
épaules
Les pampres ceignaient ta
taille
Caressaient les langueurs
de ta poitrine.
Au ciel des nuages aux formes arrondies s'allongent, se disposent par groupes, en grappes, dans une lumière crépusculaire. Il n'en faut pas plus pour que l'imagination l'emporte sur le regard et que la volupté du texte s'insinue dans le paysage. »
précision : j’aime tout autant Olivier Cadiot, retraduisant Le Poème avec Michel Berder (Bayard, 2002) !
Tu
es si belle
si douce
Amour
dans jouissance
Cette
taille-là ressemble à un palmier
Tes
seins
aux grappes
J’ai
pensé je monte dans un palmier
J’attrape
ses branches
Tes
seins seraient grappes de vigne
Odeur
de ton souffle
comme des pommes
.
Ton
palais très bon vin
Bon, oui, la tête dans les nuages …
©Ronald Klapka
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