François Rannou, qui en est un des principaux maîtres d’œuvre, a composé pour Poezibao un très beau dossier, riche en particulier de documents exceptionnels et inédits pour la plupart, autour des deux forts volumes consacrés par la revue l’Étrangère à André du Bouchet. Qu’il en soit remercié très chaleureusement.
Je publie séparément à la suite de cet article Vision et connaissance chez Victor Hugo, un article inédit d’André du Bouchet. Ainsi qu’une lettre à Paul Celan. Je publierai aussi à la suite, par souci de lisibilité, un des articles de la revue que François Rannou a bien voulu me communiquer, La revendication de la prose, par Yves Peyré.
Pour introduire à la lecture des deux volumes de la revue L’étrangère consacrés à André du Bouchet
La revue L’étrangère
tente, avec les deux volumes doubles qui viennent de paraître*, d’ouvrir un peu les portes de l’atelier
d’André du Bouchet. Ainsi, nous le découvrons aux États-Unis où, il n’a pas
vingt ans, son sens aigu de la lecture frappe d’emblée par sa justesse sans
concession. Nous pouvons mieux comprendre également comment se construit ce qui
est moins une poétique (ce serait même, d’une certaine manière, un contresens
d’employer ce mot) qu’une ligne de conduite que la poésie, parce qu’elle est
parole et silence, écoute et voix, geste et regard, sous-tend et révèle.
L’amitié y tient sa part, celle avec Reverdy, Celan, Des Forêts, notamment ―
l’amitié, oui, qui n’a rien seulement de littéraire mais engage, concrètement,
une responsabilité. Et le dialogue qui se noue avec les artistes (Jean Hélion,
Tal-Coat, Giacometti entre autres), très tôt, le prouve. Et sans cesse
interroge comment parvenir à saisir ce qui du réel s’éclipse, furtivement se
laisse entr’apercevoir et se dérobe ― toucher au point muet qui fonde et troue
sa propre langue ― toute langue, la sienne, alors, devenant étrangère. Cette
question soutient de façon centrale la recherche d’André du Bouchet et nous
l’apercevons directement dans ce pas au-delà d’elle-même qu’il fait faire à la
traduction, l’amenant, par là, paradoxalement, au plus littéral de ce qui la
constitue.
La revue propose donc au lecteur de rentrer dans le vif de ce
travail en donnant à lire d’André du Bouchet des textes et traductions inédits
ou retrouvés, des lettres (à lui aussi adressées), des notes, des esquisses,
des extraits de carnet, en permettant, grâce aux entretiens qu’il a accordés
généreusement, d’entendre sa voix. J’ai voulu encore que fût présente la parole
critique, à laquelle du Bouchet a toujours souscrit, même si c’était souvent en
franc tireur ― il l’a suscitée, encouragée, elle éclaire, aujourd’hui, d’une
lumière différente les enjeux de cette œuvre, et du Bouchet aurait été heureux
de constater qu’une nouvelle génération poursuit sa lecture. Les poètes qu’il
aimait ont évidemment été invités dans cet atelier ― les compagnons et amis de
sa génération, et ceux, plus jeunes, dont il appréciait les textes ― il faut
dire, d’ailleurs, combien cet homme, qui avait la réputation d’être hautain,
inabordable, a été à l’écoute de ceux qui commençaient (pour reprendre le terme
que Reverdy emploie lorsqu’il dédicace Main
d’œuvre à André du Bouchet : « d’un poète qui finit à un poète
qui commence »), les a encouragés, conseillés, a pris sur lui, même, de
les faire éditer (c’est le cas de Philippe Denis et d’Alain Suied, par
exemple).
Enfin, une chronologie permet de mieux cerner encore le parcours, de celui qui,
par son exemple, indique une direction, exige d’aller encore plus loin, au
devant de soi-même.
Un aperçu de ce que le lecteur peut trouver dans chacun des
volumes Le volume 1 s’ouvre sur les derniers textes en cours trouvés
rue des Grands-Augustins. La première partie, comme un fronton, s’ouvre avec
les textes de Philippe Jaccottet, Jacques Dupin, Yves Bonnefoy et Anne de
Staël. Le volume 2 propose de mieux approcher André du Bouchet
traducteur. Le lecteur peut notamment percer le cœur du mouvement de traduction
grâce à une lettre que Louis-René des Forêts adresse à l’auteur d’Ou le soleil à
propos de sa traduction d’une prose de Laura Riding.
Puis on rentre dans l’atelier. D’abord l’activité de lecteur : André du
Bouchet écrit de nombreux textes critiques dans sa jeunesse
« américaine » (sur Fénéon, Péguy, Descartes, Rimbaud). Une fois
rentré en France, sa réflexion prend une autre dimension comme le confirment
ses essais sur Hugo, Mallarmé, Rimbaud, puis Hölderlin comme, plus tard, sur
Celan (à qui André du Bouchet rend hommage dans un texte à notre connaissance inédit).
L’œuvre du poète suscite bien sûr de
nombreuses approches critiques qui permettent de mieux saisir les enjeux de
l’œuvre. Ainsi de remarquables éclairages sont-ils donnés par Emmanuel Levinas,
Didier Cahen, Dominique Grandmont, Salah Stétié, Denise Le Dantec, Alain Suied,
Jacques Depreux, Jean-Patrice Courtois, Yves Peyré et Jean-Claude Schneider.
Une familiarité s’installe, alors, que les témoignages de ceux qui l’ont
rencontré rendent plus claire, plus chaleureuse encore. Les lettres que Reverdy
adresse à André du Bouchet forment, d’autre part, la preuve de ce qui se tisse
« d’un poète qui finit » à un poète « qui commence ».
Enfin, après des poèmes (ceux qu’on offre à l’hôte qu’on vient visiter), et des
entretiens (ici, avec Monique Petillon et Georges Piroué), le volume se clôt
par une chronologie précise et un inédit d’André du Bouchet qui dit la
perte d’un de ses fameux « carnets ».
Après des études critiques d’une grande justesse où de jeunes essayistes
parviennent à renouveler l’approche de l’œuvre d’André du Bouchet (Thomas
Augais, Clément Layet, Sylvie Decorniquet, Elke de Rijcke, Rémi Bouthonnier,
Victor Martinez, Nathalie Brillant entre autres), le lecteur pourra entendre la
voix du poète à travers des entretiens.
Mais il ne saurait être question d’oublier, bien entendu, le rapport étroit
qu’entretenait du Bouchet avec la peinture. Une lettre de Jean Hélion, des
textes sur Géricault, Masson, Miro et Tal-Coat constituent une partie riche que
vient conclure une très belle étude de Jean-Claude Schneider.
Enfin, Victor Martinez donne une bibliographie documentée
mise à jour…et le dernier mot reste au poète : « Raconte-moi/ma
vie ».
*La
revue L’étrangère propose les deux volumes sur André du Bouchet pour la somme
de 45 € (chaque volume fait à peu près 500 pages).
On peut trouver ces volumes en librairie dès la fin mai. On peut aussi se les
procurer en adressant son règlement à l’ordre de :
Pierre-Yves Soucy / L’étrangère
c/o La Lettre volée
20, Bd Barthélemy
B -1000 Bruxelles (Belgique)
photos DR
ajout du 30 juin 2007 : remue.net vient de publier un ensemble tout à fait complémentaire de celui de Poezibao, sur ces mêmes numéros de la revue l'Etrangère