Vous appréciez les vers comptés, dont on dit un peu vite
qu’ils appartiennent à "autre temps de la poésie" ? Alors il
faut lire Immense existence, où se
succèdent divers mètres, de l’heptasyllabe à l’alexandrin, et des formes
strophiques anciennes, dont la ballade – avec envoi : Prince
d’Amour tellement séduisant / heureusement que tu viens en passant, etc. On
relève des rimes embrassées (passe :ces/excès/carcasses),
croisées (horizon/structures/qu’ils
ont/nature) ou plates (coule/foule/cruelle/semelle),
et même la très classique élision du e
de encore quand elle est nécessaire
pour éviter un vers bancal. Ce n’est pas dire que William Cliff écrit comme Lamartine. Sa métrique, très
libre, ne s’embarrasse pas des règles d’un manuel, négligeant la prononciation
du e dit « muet » quand
besoin est, ou n’essayant pas à tout prix de rimer. Le lecteur reconnaît dans
cette très brève description les
pratiques du poète depuis le premier texte publié, qui annonçait à quoi devait
servir le vers :
Ce vers de quatorze syllabes dont je suis si
fier
va-t-il me
permettre de cracher le vivre amer
qui me brûle sur
les lèvres, malgré la loi illusoire
de la rime et des
pieds dont je me charge sans y croire ?
(Homo sum, dans Cahier de poésie I, Gallimard, 1973, p. 145)
C’est encore le « vivre
amer »qui nourrit les derniers poèmes, mais malgré l’âge venu la
solitude reste entière (« parfois
j’ai de la peine à me retrouver seul »). Ce sont maintenant les souvenirs,
et non plus le présent ou le passé proche, qui constituent le matériau de
l’écriture. Souvenirs des amours ou des amants de rencontre, souvenirs des
lieux de l’enfance et des parents. Souvenirs aussi des voyages : comment
sortir du monde clos, des jours prosaïques si ce n’est en partant ? Sont
évoqués Montevideo, Helsinki, Tokyo, Bénarès, Porto Rico, Atlanta,
Saint-Pétersbourg, l’Espagne qui lui est chère. Regard attentif sur les choses
et les gens, puisque qu’ailleurs « on
voit la vie réelle » ? Il y a encore et encore comme une
nécessité d’être ailleurs : l’image du navire quittant le port ou y
accostant revient souvent dans le livre (« nous étions sur la digue regardant au loin / le bateau qui s’effaçait
dans le crépuscule », « on
attend le bateau on l’attend on l’attend », etc.). Cependant, le
regard aigu ne découvre pas de paix et il semble qu’il faille toujours repartir
pour « ne plus voir l’horreur d’être
né sur cette terre / et d’attendre toujours que se lève le jour ».
Rien d’étonnant, donc, à la présence de Rimbaud dans Immense existence ; non nommé il est évoqué lors d’un
"pèlerinage" de Cliff à Charleville : « ah ! qu’il a dû souffrit ici
l’Adolescent / et qu’il a dû sentir le poids de la misère ». Rimbaud
est encore là dans un autre poème par l’emprunt d’un de ses mots (flache) et par le souvenir de Verlaine
(« dans le vieux parc où Verlaine a
chanté ».
Y a-t-il du malheur partout ? oui, et parfois « allons boire / afin d’oublier les méchancetés ». Ou bien
séjournons dans une ville hors du temps, Venise, « pour oublier la vie réelle ». Il existe des moments de grâce,
ceux donnés par la lecture, notamment par la poésie :
toujours avec toi tu emportais un recueil
pour y lire à voix haute et sentir les
écueils
de la brutalité s’écarter devant toi
Cliff y ajoute ce que révèlent sans cesse les oiseaux,
oiseaux marins ou merle, « oiseaux
qui chantent […] / à gorge
triomphante l’Existence Immense ».
©Tristan Hordé
William
Cliff,
Immense existence,
Gallimard, 2007,
136 p., 13,90€
William Cliff dans Poezibao
:
Cliff
William, extrait
1, "Lecture" poétique 4, extrait
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