Magnifique voix que celle de Nathalie Brillant, dans son
recueil Les Démurs, paru chez Wigwam,
grande petite maison d’édition de poésie (il en reste, mais oui !). Toute
la subtilité du texte est ramassée dans une exploration des circonstances de la
mémoire plus que la mémoire elle-même. Celle-ci, d’ordinaire lien entre passé
et présent, n’est pas un moteur d’écriture de manière exclusive mais un espace
de fondation inédit, « entre le vide et l’événement » comme le
précise l’exergue extrait d’un écrit de cette autre poète incontournable qu’est
Esther Tellerman. Idée patente dès les premiers mots de l’auteure, en
avis : « Cela ne se passera pas/ dans le souvenir mais/ peut-être
maintenant… » s’annonce comme un difficile credo dont elle ne voudrait
s’éloigner pour rien au monde pour mener à bien, coûte que coûte, le projet du
poème, de sa matière à son enjeu – et non le poème comme projet en soi. Mais
dans ce cas précis, une forme de prose proche de la « fable nue » que
sous-tend une pensée buissonnière à partir de bribes existentielles retenues
dans leur élan, peut-être autant par pudeur que par dénuement. Parce que la
poésie n’est pas genre mais moyen d’accéder à cette vie recluse entre les murs
qu’on s’est fabriqué à l’intérieur de soi ; ici dès l’enfance. Mais
« ouf la désenfanture/ la mort s’essouffle/ hors du lit ». Or les
matériaux endémiques ne suffisent jamais à rendre le contexte dans l’état
initial ni à faire office de passerelles vers l’expérience de vivre renouvelée
ou retranchée à sa guise. Cela implique au bout du compte un rite obsessif
davantage qu’une vision obsédante :
le
premier mur : tu le fabriques
avec les planches, les genêts, tu
abats des fragments d’innomés
par poignées
qui induisent un vrai travail de forçat, tant il est
nécessaire d’aller les chercher dans les replis du vertige de vivre, ce grand
chantier bruyant. A tel point qu’on se demande si ce n’est pas plutôt le poème
qui nous construit et nous afflige au pied du mur que l’on finit par être soi-même, gigantesque mais fragile,
les uns parmi (pour) les autres :
le
mur fendu plus loin que
ses racines t’effondre
Murée en sa parole, Nathalie Brillant juge utile de
recourir à la mémoire affective (mais ne l’est-elle pas
systématiquement ?) qui invoque un être cher disparu. Non pas sur aucun
mode ni ton dialogique mais en osant quelques brèches dans son approche tendue
d’écriture ; avec les armes d’une poésie vivante. Les traits du personnage
en question – la grand-mère de l’auteure – sont à peine esquissés, car ce n’est
pas l’important, mais porteurs d’une modulation qui s’impose d’elle-même
(typographiée tout en majuscule), d’autorité il semble. Personnage également
pour un lieu peut-être ? Sans aucun doute en écho au suspens d’une parole
qui risque à tout moment de rompre, d’« écourter jusqu’au point
nul ? » dans le poème qu’on ne peut espérer plus beau alors à sa
lecture :
un
instant ton dos s’étale
nulle part, sans heure : la
langue pendue au mur
« Loin :/
voilà la cible » qui s’éclaire et attend l’étincelle capable d’amorcer,
pour qui voudrait, sa propre légende aux contours mal définis. Tel que sache
s’y appliquer, ici, cette voix, donnée à entendre, en quête de dé-minage,
dé-phasage, dé-poussiérage des figures qui emmurent
le langage, avant de le faire éclater (dans les deux acceptions) avec force et
brio. Parce qu’attention ! la poésie de Nathalie Brillant, « ça
pue la foudre » aussi !
©Mazrim Ohrti et Poezibao,
2007
Nathalie
Brillant,
Les Démurs
Wigwam éditions