Pour inaugurer la nouvelle rubrique de Poezibao, Notes sur la poésie,
un premier choix de textes de Pierre Reverdy. Je remercie vivement Tristan Hordé
pour cette sélection.
Pierre Reverdy a toute sa vie tenu des carnets pour noter ce qui lui
paraissait précieux à propos de la poésie, de la morale, de la religion, de la
nature, etc. Nous retenons ici un premier choix des notes publiées dans Le Gant
de crin (édition citée : Plon, 1927), sur l’art, la poésie, l’acte
d’écrire.
La nature est nature, elle n’est pas poésie. C’est la réaction de la
nature sur la complexion de certains êtres qui produit la poésie. La nature ne
donne pas ce que donne l’orchestre. (p. 3)
Quelle terrible épreuve constamment renouvelée.
S’asseoir pour écrire le plus beau poème du monde, le sentir tel en soi, le
vivre, en contenir difficilement la frémissante beauté qui déborde et
transforme tout votre être et le soulève, puis… rester avec ce bout de glace
entre vos doigts ou cette cendre !
Tout le reste a été consumé à l’intérieur. Dehors, il n’y a plus que le reflet
des flammes. Car le poète est un four à brûler le réel.
De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant
d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans
quelques images et quelques phrases. (p. 7-8)
Le succès d’un livre aujourd’hui : un oiseau qui plane un moment et
qui retombe ensuite pour se perdre dans la masse des herbes.(p. 10)
La poésie jouit, aujourd’hui, parmi les lettres, d’une faveur étrange.
Et combien y a-t-il parmi tant de littérateurs, de vrais poètes ? Bien
peu, sans doute. Et tant mieux pour eux. (p. 18)
Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance
à son auteur que la mienne. (p. 26)
L’art qui tend à se rapprocher de la nature fait fausse route, car, s’il
allait au but : identifier l’art à la nature, il se perdrait. (27)
Le lyrisme n’a rien de commun avec l’enthousiasme, ni avec l’agitation physique.
Il suppose au contraire une subordination quasi totale du physique à l’esprit.
C’est quand il y a le plus : amoindrissement de la conscience du physique
et augmentation de la perception spirituelle, que le lyrisme s’épanouit. Il est
une aspiration vers l’inconnu, une explosion indispensable de l’être dilaté par
l’émotion vers l’extérieur. (p. 36-37)
Le poète est poussé à créer par le besoin constant et obsédant de sonder
le mystère de son être intérieur, de connaître son pouvoir et sa force.
Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude
sur leurs facultés.
Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres. (p. 44)
L’art a sa vie propre, qui n’est
pas celle des objets et des êtres animés. Ce qu’il importe de lui donner, c’est
sa réalité, de situer l’œuvre dans sa réalité. En négligeant ce qui n’est
qu’apparent et fortuit, superficiel et accidentel ; en ne choisissant que
ce qui est constant et permanent et la vraie substance des choses, l’art
d’aujourd’hui prétend ne s’alimenter que de réel, et atteindre à cette réalité
qui fixe l’œuvre d’art et lui permet de prendre sa place parmi les choses
existant dans la nature. (p. 47)
Parce que nous avons en nous deux aspirations contraires, nous écrivons
pour satisfaire notre esprit et notre âme et aussi pour un but matériel, pour
notre place dans le monde, pour gagner de l’argent, pour élargir le plan de
notre vanité. (p. 63)