La maison d’édition alsacienne, aux choix bien arrêtés : poésie et textes de la tradition spirituelle – où trouver ailleurs Jacopone de Todi, Angelus Silesius mais aussi Cristina Campo ou Jessica Powers ? - propose à ses lecteurs des nourritures tout autant célestes que terrestres à fin de les rassasier pour longtemps, en tous cas de ne pas manquer en temps de disette …
Que l’on en juge !
Tout d’abord et par dilection spéciale : Etty Hillesum, "histoire de la fille qui ne savait pas s'agenouiller" ; un livre d’apparence composite, mais dont chacune des parties concourt à donner les traits d’une spirituelle pour aujourd’hui en temps de catastrophes : émouvant, le témoignage de Liliane Hillesum, discret celui de Charles Juliet, délicats les commentaires du p. Dominique Sterckx, o.c.d. (connaisseur, s’il est, d’une « formule de vie », celle du Carmel), enfin, magnifique (comme toujours) le propos de Claude Vigée, sur cette « sœur universelle » à qui échut à Westerbork d’être « le cœur pensant de la baraque » (cf. la biographie de Sylvie Germain aux éditions Pygmalion).
Ensuite, quelques mots infiniment trop rapides pour de bien beaux livres, en signifier les effets, en en « publiant la louange ».
Avanza la cara figure d’amore
Quei
dolci tacchi battuti sul core
E
l’ombra calda sulla faccia.
Quelques vers de Sinisgalli, pour saluer J’ai vu les Muses traduit de l’italien
par Jean-Yves Masson (le poème cité : Rue
Saint-Walburge, aux pp. 118-119).
J’emprunte sans sourciller quelques lignes de la recension d’Emmanuel Laugier,
consonnant tout particulièrement avec celles-ci dans ma réception de l’auteur
d’Oubliettes (La Feugraie)
Et à Sinisgalli d'ajouter à l'origine indéterminée des muses cette finale en forme de réouverture : " Le coeur émerveillé/ J'ai interrogé mon coeur émerveillé,/ J'ai dit à mon coeur la merveille. " Le métier d'écrire, véritable métier d'ignorance, est alors cette merveille ouverte sur le naturalmente cosa, un n'importe quoi... qui importe là plus que tout, qui ne dit pas l'indifférence méprisante pour les choses sans voix devant nous, mais la considération de tout ce qui existe, cyprès dans le vent, genoux crayeux d'un enfant, " éclat des phares/ Sur les massifs d'immortelles/ Ce soir ".
Mots du cœur ! comme ceux d’Etty Hillesum, ou encore ceux de Philippe Beck, lecteur fidèle : « La didactique a une origine, le cœur ». (En réponse à Gérard Tessier, dans Beck, l’impersonnage) ou encore ce vers résumeur du Finale des Chants populaires : « C. est le premier moteur. »
On a déjà rencontré ici (portait et anthologie) mention de Enquête sur les domaines mouvants de Max de Carvalho. Je souligne simplement que le poète est aussi le découvreur des textes d’une moniale dont un florilège a paru aux éditions de l’Arrière-pays tandis qu’Arfuyen en donnera prochainement l’édition définitive sous le titre Le repos inconnu. J’ajoute, relisant un propos de Marc Blanchet, que la manière des poèmes a évolué, notamment en se rapprochant parfois de l’éclat aphoristique.
Alain Suied a vu ses ouvrages publiés à maintes reprises
dans la collection les cahiers d’Arfuyen. Son site
personnel donne des extraits de l’une des suites : Sortir de
la fausse mort de son dernier recueil « Laisser partir ».
Chacune des huit suites : De la
perte au manque – Obscur est le cœur – Le blessure la plus lointaine –
Entendre, écouter, comprendre – Apnée dans le vraie vie – Sortir de la fausse
mort – À l’arraché – Sous le masque de la chair, comporte une dizaine de
poèmes.
De la huitième suite, ce huitième poème en guise de salut à Hervé Castanet, Céline Masson et leurs lecteurs …
Sortir
de la fausse mort : l'image
que tu as toi-même
construite.
Voilà pourquoi tu
arpentes la nuit
commune. Voilà
pourquoi tu ne peux
t'identifier au
masque fragile
et mortifère à la
fois des conventions
Aller
vers le soleil du visage :
chaque reflet du
temps te ramène
à l'origine
commune. Voilà pourquoi
tu remontes, marche
après marche
du gouffre
illusoire et mortel
à la fois du vrai
abandon.
Comme un écho du sundgovien Nathan Katz, qui a donné son nom à un prix récent . S’il est une Chine, sans aucune doute existe une « Alsace intérieure » :
All
dini Traim, si süeche
I mein, i säch si
um mi steh:
Si lüege groß mi a!
Ce qu’Alfred Kern traduisait de l’alémanique par :
tous tes rêves vont vers moi/je crois les voir/autour de moi/qui me
regardent/ils sont là/de grands yeux effarés.
(revue l’Autre, 1990)
©Ronald Klapka
Commentaires