Quand je découvre, dans les
années 1980/90, les livres de Jacques Henric : Archée, Carrousels, La
peinture et le mal, Adorations perpétuelles… ce qui me frappe d’emblée
c’est qu’ils intègrent tous les registres d’écriture : récit, journal
intime, poème en prose… avec une foule de détails liés à une traversée
singulière. Il y a du Faulkner chez Henric, une approche du mal marquée par une
nécessité brûlante : celle de dire ce qu’il en est, pour un écrivain
immergé dans la réalité, des chutes individuelles et collectives, des
effondrements du siècle et des débâcles intimes. Quelle vérité le récit
poétique peut-il arracher à la remontée des enfers ? Quelle écriture doit
s’imposer face au tissu déchiré des vies hasardeuses ? Comment montrer que
le monde ne repose que fragilement sur des images ? Autant de questions
qui captent et retiennent, surmontent et s’affrontent à la quête posée jadis
par Hölderlin : comment habiter, en effet, poétiquement le monde ?
C’est le vrai point de départ d’une question dont le témoignage est toujours
sûr et qui dévoile toutes les figures – tous les semblants – pouvant naître
d’une confrontation avec le réel.
Politique participe, librement et souverainement, à ce dévoilement. Ici,
l’éclairage autobiographique déjoue les incitations à parler au nom d’une
communauté, d’une famille d’esprit en prenant congé, jusque dans la polémique,
avec les figures récurrentes du nihilisme et du langage d’inquisition, bouffi
d’impératif et de morale. Né en 1938, Henric appartient à cette génération qui
s’est engagée dans le champ idéologique et littéraire. Instituteur en province
dans les années 60 et très tôt averti de la violence inhérente à l’espèce
humaine, il collabore à des journaux communistes, notamment France Nouvelle,
dont il tient chaque semaine la rubrique littéraire. Il sera, avec Jean-Louis
Houdebine et Guy Scarpetta, à l’initiative d’un rapprochement entre les
intellectuels communistes et les jeunes écrivains de la revue Tel Quel (Philippe
Sollers et le poète Marcelin Pleynet notamment). Henric, qui toujours fut
réfractaire à toute inféodation de la littérature à la politique, multiplie les
anecdotes et les péripéties, dresse des portraits souvent grinçants (Aragon aux
obsèques d’Elsa Triolet), touchants (Pierre Rottenberg et son dévouement pour Tel
Quel) et parfois féroces (sur Jacques Laurent, Antoine Blondin et Roger
Nimier). Sa participation à Tel Quel, son amitié jamais démentie pour
Sollers puis la création, avec Catherine Millet, de la revue Artpress,
corrigent avec brio la mémoire flouée et les récits tronqués sur l’histoire de
cette génération.
©Pascal Boulanger
Signalons, dans la nouvelle revue que dirige Henri Poncet : Passage à l’acte, un fronton consacré à Jacques Henric, avec les contribution de Philippe Forest, Elisabeth Joannès, Andrée Barret et un entretien, par Pascal Boulanger, avec Jacques Henric.
Jacques Henric : Politique (Seuil, coll. Fiction & Cie), 20 €