N'attendez pas les foins, bel amour,
cette saison fanée qui jette aux yeux
la poudre et les éclats, en état
de béate éternité.
L'été l'urgence est tue.
Erreur. On la décèle
dans la cutine écaillée des feuilles
et cette odeur de sueur par où le corps s'impose.
N'attendez pas.
d'éternité
Je choisis parmi les poèmes de « Légèrement frôlée » que vient de publier Champ Vallon dans sa collection bien nommée Recueil, l’un de ceux qui m’ont paru les plus à même de répondre à la question du titre du livre et à la manière d’Etienne Faure.
Voire au choix de l’illustration de couverture par Michèle Lechevalier, l’atmosphère que celle-ci dégage, de beauté fragile et menacée, ce qui est précisé par la citation en exergue des suites de poèmes : « Et au-dessus pendait la pesanteur. » (Gottfried Benn, Poèmes).
Par le poème, serait donc légèrement frôlée l’éternité, que s’attachent à retenir quelques mots, un récit, une description, une interpellation, un jugement, et leur ressaisie dans une formule, une expression doucement frappée …
Une manière immédiatement reconnaissable et qui provoque tantôt le sourire (ironie, érudition « légère »), toujours l’émotion et l’éveil à une attention renouvelée aux êtres, aux choses et au temps, non pas pour inciter à quelque carpe diem, mais à la lucidité, la gravité, à « réaliser » le prix de l’instant, tant son inexorable fugitivité que sa possible et immortelle beauté (l’éternité retrouvée du divin Arthur).
La clausule du poème et la sorte de « post-titre »
en italiques (tantôt à gauche, tantôt à droite) qui le suit, pourraient ici
donner poignance à la rencontre entre « N’attendez pas » et « d’éternité »
dans ces (fragments d’amour) qui s’insèrent dans la suite D’herbe et d’amour.
Ici, ai-je envie de dire : N’attendez pas ! le beau recueil d’Etienne Faure est pour vous. L’auteur en a résumé la teneur en quatrième de couverture qui rassemble avec élégance en une sorte de phrase-centon les différentes parties :
« Comme on effleure ou en réchappe, des textes qui se
déplacent des leçons de l'été à celles d'une histoire proche, parfois dans
l'herbe - amour -, en vues anglo-normandes, et contre l'inertie se hâtent -
lue, parlée, écrite - en formes brèves ou plus longues, au bord de la marche. »
Il faut savoir que ces différents poèmes ont été accueillis dans diverses revues ; les citer n’est je pense pas anodin : NRF, Conférence, Théodore Balmoral, Rehauts, Le Mâche Laurier, Pleine Marge. C’est à la fois pointer une exigence et aussi un temps de maturation, de choix : le texte sous-titré : la danse a capella qui ouvre la suite « De mémoire fédérée » (Conférence, printemps 2003) prend place, tout comme le très beau Un mouchoir n’a jamais suffi, cette fois dans la suite « Le siècle encore à table » qui ferme la marche de Légèrement frôlée, tandis que certains poèmes en sont désormais absents. Parfois, c’est la disparition furtive qui inscrit (légèrement ?) le (lourd ?) repentir : ainsi l’épreuve est sans retouches qui concluait Le siècle encore à table dans Conférence (printemps 1999), achève désormais le livre ainsi : l’épreuve est sans retouche.
[…]
Le ciel est sec.
Hormis les pattes des oiseaux
on n’entend guère écrire, ces temps-ci
On voudrait, quoi qu’il advienne
-et c’est déjà mesurer l’horreur
sans dégradés-
ne renoncer jamais à la nommer
au soleil jadis crâne
à présent ras
sous l’abat-jour du siècle en peau humaine.
Autant dire que la poésie d’Etienne Faure est à la fois grave et pleine de subtilité(s), et sans doute celle-ci est-elle nécessaire pour légèrement frôler la folie meurtrière de l’histoire récente ainsi qu’il en va dans la dernière suite donnée à Conférence (printemps 2006) : Sous le théâtre des opérations.
©Ronald Klapka
Sur Etienne Faure, indications bio-bibliographiques, un rendez-vous récent, des extraits du site des éditions Champ Vallon.
Etienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007
978-2-87673-466-1, 12 €
Commentaires