Un poème n’est pas un suicide de langue. Si nécessaire, il peut aller jusqu’à une langue dépeuplée et parcourue de vents pour quasi plus personne, mais cela ne le justifie ni ne l’invalide. Seule la nécessité, perçue par le lecteur, je ne dis pas le public, constitue le poème comme poème.
Dans le travail, on avance à l’aveugle ; on écrit tellement à travers les livres, les situations, la mémoire entassée, l’urgence… Après, longtemps après parfois, on comprend que tel choix ou telle tentative, venait sans doute de telle ou telle page, ou de tel livre tressé de vie… Écrire : aimanter, être aimanté. D’autres mesureront, si besoin est, l’attraction ou l’effort d’écart.
Écrire, c’est un déséquilibre en avant qui porte.
Fêlure, blessure, bien sûr : on n’écrit pas sans cela.
Étrange comme je ne peux mesurer vraiment l’intérêt du poème que je viens d’écrire. Je sais seulement que j’étais en train d’écrire quelque chose de l’ordre du poème. Je sais aussi que d’ordinaire, si l’expérience a été assez prolongée, il en reste toujours assez pour travailler jusqu’à un poème achevé. Tout ce savoir est parfaitement empirique.
En soi, c’est clair, un bulletin d’informations n’est pas un poème. Par contre, si je coupe dans ce bulletin et que je monte autrement ces éléments, je peux être en poésie. La poésie est dans l’utilisation, non dans le matériau. Vieille idée, qui demeure importante à réaffirmer au vu de l’invasion du « poétique » à propos de tout et de n’importe quoi.
Antoine Émaz, Lichen, lichen, éditions Rehaut, 2003, p. 17, 26, 36, 40, 59 et 75.
Je remercie Tristan Hordé pour cette contribution
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