Dans le cadre de PoeziLABO, je publie un long document qui est la relation d'un atelier d'écriture par Ariane Dreyfus.
Je publie le début de ce texte de 75 pages, puis je propose à ceux qui le désirent de télécharger le fichier pdf. complet. L'impression éventuelle du document et sa lecture m'ont semblé devoir en être ainsi facilitées. Je remercie vivement Ariane pour cette nouvelle contribution à cette rubrique.
JOURNAL DE BORD D’ATELIERS D’ECRITURE
(Ariane Dreyfus)
Sur invitation de son professeur, Mr Jacquelin, j’ai été amenée à rencontrer durant huit séances une classe de terminale BEP comptabilité du Lycée professionnel Blaise Pascal à Brie-Comte-Robert. Notre objectif était de faire réagir poétiquement les élèves à une rencontre avec le cirque. L’année précédente, les élèves avaient déjà été mis en contact avec cet univers, mais le travail en écriture, mené avec leur professeur, avait alors porté sur l’argumentation.
Ces séances ont été menées dans le cadre d’une classe à PAC (« classe à projet artistique et culturel »). Deux séances ont été réalisées grâce à l’un des Programmes de la Maison des Écrivains : L’ami littéraire, à destination des classes du primaire et du secondaire et dont Marjolaine Noiret est la chargée de mission. Ce programme est soutenu financièrement par la Direction du Livre et l’Éducation Nationale.
Après chaque séance, je rédigeais ce journal pour garder souvenir de ce que nous avions vécu, y réfléchir.
« Qui est ce poète qu’ils ont
attendu ? Eux en même temps que moi »
(séance du 8 décembre 2006)
Depuis la veille de la Toussaint, l’attente de cette classe était active. En effet, tous les élèves avaient répondu à ce questionnaire proposé par leur professeur : comment vous imaginez-vous un poète aujourd’hui ? Qu’attendez-vous de cette rencontre ? Avec quoi et pourquoi écrit-on ? Quel rapport imaginez-vous entre le cirque et la poésie ? J’ai reçu toutes ces réponses, j’ai pu construire notre rencontre sur elles.
Immédiatement, surprise des élèves d’entendre de ma bouche leurs phrases, ou simples expressions, de voir comment elles me donnaient l’élan de parler de choses qui m’importaient, et de toute façon importantes, ils le reconnaissaient. Par exemple, plusieurs avaient écrit qu’ils imaginaient le poète comme une personne calme, qui ne se met pas en colère, dont la voix apaise. J’ai abondé en leur sens en insistant sur le pouvoir du faire poétique lequel, comme tout « faire » (je n’ai jamais oublié la leçon d’Alain), permet de prendre du recul avec la réalité parfois bien violente – je leur ai alors lu le poème écrit par Éluard le jour où il apprend la mort de Nush, poème à peine ébauché car l’expérience est encore trop à vif – en insistant aussi sur le don qu’est toute mise en forme, qui rassure l’humain et lui donne le courage et l’envie de continuer, cette fois à partir d’un de mes propres poèmes de deuil. Faire en sorte, comme toujours, de remplacer le subir par le faire. Et faire ce peut être tout simplement filer une métaphore qui permet de dire les choses jusqu’au bout mais pas seulement dans la frontalité.
Nous avons aussi parlé de cet
outil particulier qu’est le langage écrit, qui est à la fois le recours de ceux
qui veulent s’isoler mais en les sauvant d’une vraie solitude, puisque c’est un
outil de communication décalée dans le temps et hors présence physique, et que
parfois on se sent davantage seul quand on se parle sans rien se dire vraiment.
Les élèves ont été très vivement réceptifs, au bout de quelques minutes je n’ai
plus suivi mes notes. Ils étaient là, à dialoguer avec moi dans le respect de
ma parole et de la leur. Sans doute que le fait d’avoir fait si vite et si tôt
intervenir leurs propres mots tirés de leur questionnaire les a installés dans
cette dynamique, plutôt rare avec des adolescents hors cursus général. Ce fut
une de mes rencontres les plus rapides et les plus heureuses.
J’ai clos cet échange par la distribution de ces quelques vers de Rimbaut
d’Orange :
« J’entrelace, pensif et pensant,
des
mots précieux, obscurs et colorés,
et je
cherche avec soin comment
en les
limant, je puis en gratter la rouille,
afin de
rendre clair mon cœur obscur »
vers qui disent incroyablement bien ce qu’est le travail poétique. Notamment cette double apposition, « pensif et pensant », dont Fabien a su très vite dire à tous que loin d’être redondante, elle exprime cette double exigence : abandon à ce qui vient et concentration pour mettre en forme. Supervielle le disait aussi quand il parle de la poésie comme d’ un rêve dirigé ».
Nous sommes ensuite passés à un peu de détente : j’avais amené avec moi un sachet rempli de citations sur la poésie, chacun en a pioché une pour la lire aux autres. Certaines faisaient écho à ce que nous avions dit, d’autres rebondissaient entre elles, la discussion a continué à vivre.
Après ce moment de « théorisation », un peu de pratique :
Je suis partie de cette réponse de
Sikou à la question : « Qu’attendez-vous de cette rencontre avec
le poète ? » : « Être aidé pour que mes mots aient une
valeur ». Pour leur faire sentir comment la disposition dans la page peut donner une figure saisissante,
particulière, à un poème, je leur ai distribué « Paris at night » de
Prévert (Paroles), déversifié, pour que chacun en propose sa version. Après
avoir passé du temps à commenter individuellement leurs choix, j’ai
hésité : devais-je les lancer sur une proposition d’écriture personnelle,
ou leur proposer de faire le même exercice sur un de mes poèmes, plus
complexe ? Leur professeur, contrairement à moi, penchait pour la
deuxième possibilité. Finalement, nous
leur avons laissé le choix. La très large majorité a préféré travailler sur mon
texte. Et même avec un entrain et une concentration qui m’ont émue. J’ai alors
compris à quel point ces exercices de manipulation sont adaptés à ces élèves
qui n’ont pas un rapport heureux ou facile à la page, à l’écriture. Ils
voulaient faire quelque chose en poésie, rester disponibles, c’était très net,
mais cela ne signifiait pas qu’ils étaient déjà prêts à se lancer dans leur propre écriture. Finalement,
nous avons eu ensemble cette satisfaction que chacun a été présent autant qu’il
l’a pu lors de notre rencontre.
Je suis repartie avec les poèmes des quatre élèves qui avaient choisi ces
autres consignes :
Imaginez une phrase commençant par :
Je
voudrais écrire pour
Je voudrais écrire
pour que
Je voudrais écrire
et alors
J’ai écrit tout(e)
seul(e) mais
Puis une autre commençant par :
Je
me tais pour
Je me tais pour que
Je me tais et alors
Je me tais tout(e)
seul(e) mais
Consignes que j’avais expérimentées l’an passé, mais avec des plus jeunes (dont certaines phrases d’ailleurs faisaient partie des citations qui avaient été tirées), et j’avoue que cette fois, je ressentais de l’appréhension devant leurs pages, dont je savais bien, malgré mes recommandations, qu’elles n’éviteraient pas les banalités, vu leur âge. Vu leur âge aussi, pas question de trop changer ou sélectionner leurs phrases en en faisant la saisie. Je ne voulais pas les bloquer pour la suite, j’avais trop senti ce qu’ils avaient risqué d’eux en se lançant. L’un d’eux, même, Steven, s’était mis à l’écart dans la salle pour que les autres ne puissent rien regarder de ce qu’il écrirait (trois poèmes !). Que faire ?
Eh bien tout simplement
« m’amuser » à faire avec leurs textes ce qu’ils avaient fait avec le
mien et celui de Prévert. Je suis très contente du résultat, j’espère qu’ils le
seront aussi : ce sont des poèmes qui existent. Je n’ai donc rien fait
d’autre que de mettre en vers ce qui ne l’était pas ou pas assez. (pour lire l'intégralité de la relation de cet atelier d'écriture, téléchargez le fichier pdf. joint à cette note)
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