Poète, dramaturge et
traducteur, Paol Keineg est né le 6 février 1944 en Bretagne et a commencé son
existence dans le militantisme. Il s’est fait connaître en effet comme le plus
jeune des 17 membres fondateurs de l’Union Démocratique Bretonne avant d’être
désigné, avec Le poème du pays qui a faim en 1967 comme le chef de file
de la jeune littérature bretonne. Puis il s’est un peu éloigné de cette
mouvance et s’est intéressé aux mythologies celtiques. Il vit actuellement aux États-Unis
où il enseigne. Il est auteur de nombreuses traductions de l’américain, mais
aussi de pièces de théâtre.
Bibliographie
Le poème du pays qui a faim, ed. Traces, 1967, Bretagnes, 1982
Hommes liges des talus en transe, P.-J. Oswald,, 1969
Chroniques et Croquis des villages verrouillés, P.-J. Oswald,, 1971
Le Printemps des bonnets rouges, P.-J. Oswald, 1974
Histoires vraies, Mojennoù gwir, P.-J. Oswald,, 1974
Lieux communs, suivi de Dahut, Gallimard, 1974
35 haïkus, Bretagnes, 1978
Boudica, Taliesin et autres poèmes, Maurice Nadeau, 1980 ; Ubacs, 1990
Préfaces au Gododdin, Bretagnes, 1981
Oiseaux de Bretagne, oiseaux d'Amérique, Obsidiane, 1984
Silva Rerum, Guernica/ Maurice Nadeau, 1989
Tobu, Wigwam, 1994
A Cournille, Dana, 1999
Anna Zéro, Apogée, 2002
Triste Tristan, suivi de Diglossies, j’y sers mes glosses,
Apogée, 2003
Terre lointaine, Apogée, 2004
Là, et pas là, co-édition Lettres sur cour
et Le Temps qu’il fait, 2005
une courte fiche sur Paol
Keineg
Une
note de lecture de Là, et pas là, par Jean-Marie Perret
Sur
le site de l’éditeur Le Temps qu’il fait
En complément de cette
fiche, je publie un article de Claude Lalande paru initialement dans Le Nouveau Recueil, texte
consacré à Là, et pas là, (2005) mais qui a aussi le grand mérite d’évoquer
plusieurs autres livres de Paol Keineg
Là, et pas là, façon d’indiquer sa place en s’en effaçant? Affirmation à lire comme un décalage salutaire, ou le possible point de vue de Paol Keineg sur sa propre situation? Publie peu, se fait rare et soudain, un livre du doute fécond, souriant et sombre, tenu avec tendresse, au tranchant, d’une portée incomparable. Depuis Le Poème du pays qui a faim, de haut lyrisme, depuis Le Printemps des bonnets rouges, puissante fresque théâtrale construite à partir d’une révolte contre le pouvoir royal, le texte militant a laissé toute latitude à la seule écriture. Brutale, aiguë, une écriture à genoux dans les choux, au plus près de la « Joie mal fichue » et des « portes de garages qui pèlent ». Depuis vingt ans et plus, la phrase impulsive s’est déposée, nue, sans ornement. La colère a pris ce tour d’intransigeance à l’œuvre dans Boudica, Silva rerum (Maurice Nadeau, 1980 et 1989), Tohu (Wigwam, 1994), Triste Tristan (Apogée, 2003). Le texte paradoxal doit en partie sa maîtrise au travail du temps. Et si « La planche à poèmes est dressée entre l’abattoir et le transformateur », c’est pour en finir avec la métaphore: « Moins d’images, moins de malheur. »
Guillevic, Perros et Aragon avaient salué un jeune poète qui n’était déjà pas là pour décorer les prurits d’une époque. Sans plus d’illusions, laissant là manifestes et contestations, Keineg observe d’autres réalités à présent. Distant autant que proche, il trace de brefs constats: « Allez hop ». L’insurrection est ironique, les coups de dent alternent avec une grande douceur, il est urgent de s’ouvrir aux « terres étrangères » et d’énoncer au moins « trois raisons d’abhorrer le capitalisme. » Pas de bon mot ici, aucune formule. Mais le trait sûr, l’ombre portée, d’énigmatiques flèches décochées contre le confort des certitudes, le repli puritain, l’étriqué et le trop de satisfaction. Des mots qui font mouche comme en jouant. Inquiet: « on est dans la terreur de ce qui s’approche et ne dit pas son nom. » Critique: « Tout est laid ». En vélo: « À chaque élévation, moi et surmoi se mettent en danseuse. » Sériel: certains motifs se répètent, jingle, leitmotiv, amorce de prière. « Du dieu des batailles, rien à dire. De son odeur forte, de… » Ou c’est un détail enlevé au motif principal, qui devient significatif à la façon d’une vanité. Avec les lessives, les phrases « endossent des formes légères, prennent vie sous les doigts ». Les proximités déroutent, et les analogies, par frottement. Le resserrement n’entraîne ni perte ni restriction, juste un travail sur le texte de plus en plus compact. Chaque forme ramassée l’est à la façon du félin qui se met en boule pour se retourner lentement ou se déployer avec vigueur, dans l’inattendu. Des rapprochements inusités visent à révéler toute la substance, le sens dérape tout le temps, jamais là où on l’attend. Le poème désencombré cherche le bref, habité, jamais sec. La forme s’épure et s’affirme de longue date là aussi: le Haïku apparaît dès 1970 dans Chroniques et croquis des villages verrouillés.
Le parler de tous les jours, le geste intime ou ample mêlent ici leurs accents. Et l’ironie est pleine de grâces. Un monde riche d’identités diverses, faites et défaites ensemble, de la sauvagerie à la civilisation et retour, poésie du secret autant que du cri. Et si toute l’affaire était de se tenir au monde sans coller? L’œuvre forte ne demande pas qu’on y adhère. Le lecteur s’identifiera plutôt à la pluie ou à l’air, à la marque que l’homme imprime à la nature, le singulier sceau de l’art qui permet d’atteindre au dernier mot, pareil à un début: « L’amour, il faut l’avoir connu pour comprendre la paix intérieure. » Aujourd’hui Là, et pas là se donne en entre-deux, pour laisser passer, ne pas peser et cependant répondre. Hors-champ. Keineg a choisi l’Ouest élargi, naviguant du Finistère de sa naissance d’homme, de son territoire de poète, à l’Amérique où il vit la saison universitaire depuis trente ans. Après Brown à Providence, il enseigne à Duke, en Caroline du nord. Grand lecteur, traducteur, il prépare la version française de l’autobiographie de Keith Waldrop. Il poursuit également une œuvre théâtrale: Terre lointaine, Sabrina Green.
Le numéro de mai 2005 de la revue Europe rend hommage à Paol Keineg à travers études et extraits de textes. Obsidiane annonce une anthologie personnelle.
©Claude Lalande
Commentaires