La poésie est un jet de sang
On ne peut rien y changer[1]
Invitée à un colloque
à Clermont-Ferrand sur le thème « Les voi(es)x de l’Autre dans l’écriture
poétique : femmes-poètes XIXe-XXIe siècle », j’ai
eu à cœur de lire pendant le trajet la biographie que l’une des organisatrices
de cette rencontre, Patricia Godi, a consacrée à Sylvia Plath (qui faisait au
demeurant l’objet de plusieurs communications).
Autant le dire tout de suite, je n’ai pas lâché ce livre pendant
plusieurs jours, happée par cette lecture. C’est que Patricia Godi, non
contente de maîtriser parfaitement son sujet, a su construire un véritable
récit, documenté et étayé, tout en rédigeant de façon très empathique l’histoire
d’une vie, l’histoire d’une femme, l’histoire, il faut bien le dire, d’une
tragédie. Jamais la science qui sous-tend le livre ne le rend pesant, bien au
contraire, car tout se passe comme si deux fils étaient tissés ensemble,
étroitement, le fil de la vie, le fil de l’œuvre, tout le livre tendant à
démontrer que l’une et l’autre sont totalement co-existantes, imbriquées et que
la vie nourrit l’œuvre, et que l’évolution de l’œuvre est en rapport direct
avec la vie : « L’écriture se nourrit du vécu, au point que toute
expérience sera progressivement susceptible d’en constituer la matière.[2] »
Je ne raconterai pas ici la vie de Sylvie Plath, ce n’est pas l’objet de cette
note. Je rappellerai simplement deux faits majeurs, le très puissant sentiment
d’abandon que Sylvia éprouva très tôt du fait de la mort de son père et le
rapport à la fois magnifique et désastreux qu’elle a entretenu, dans son
mariage, avec Ted Hughes, poète anglais de très haute réputation.
Patricia Godi construit le livre pas à pas, suivant le fil biographique et
chronologique mais explorant, à chaque stade de la vie, l’œuvre et les
interactions de la vie et de l’œuvre. Elle montre l’immense travail que Sylvia
Plath a accompli pour s’informer sur la poésie et se former à la poésie,
travaillant sans relâche sur la prosodie, lisant ses contemporains mais aussi
les grands poètes du passé proche ou lointain. Elle la suit dans sa recherche,
car c’en est une et de toute une vie, à partir de ce qui, dans l’écriture, est le fait du « lien essentiel entre la
figure paternelle et l’écriture » ce père qui est une sorte de « double
du "Verbe" en tant qu’il incarne le pouvoir du langage, l’autorité
scientifique et intellectuelle[3] ». Brossant le
parcours exemplaire de la très brillante élève et étudiante que fut Sylvia,
Patricia Godi montre aussi le perfectionnisme de la jeune femme, sa volonté d’exemplarité,
dont elle devra aussi apprendre à se défaire, dans les dernières années avant
son suicide, à trente et un ans, en 1963, pour pouvoir accéder complètement à
la plénitude de ses moyens : « déjà
les contradictions se profilent, qui structureront peu à peu la personnalité,
entre le conformisme et la révolte, l’ambition démesurée et le renoncement, l’affirmation
des forces de vie illimitées et le désir de disparition[4] ». Patricia Godi
décrit aussi la traversée des courants poétiques de l’époque qui fut celle de
Sylvia Plath, au travers de ses amitiés en particulier et au contact de son
mari Ted Hughes. De ce dernier, elle ne dresse en aucune façon comme ce fut je crois parfois
le cas un portrait à charge, montrant bien le caractère fusionnel de
ce couple et leur cheminement commun dans leur carrière poétique. Mais ce qui
est sans doute le plus passionnant dans ce livre, c’est que Patricia Godi tient
parfaitement son double fil, vie et œuvre, de bout en bout et qu’elle semble conduire
le lecteur sur le chemin de l’émancipation de Sylvia Plath, à la fois dans son
existence, même si cette émancipation se fit in fine au prix de la vie et dans son œuvre, avec l’acmé représentée
par le dernier recueil Ariel. Elle
nous fait assister comme en direct à l’éclosion de tous les derniers poèmes,
capable puisqu’elle les a présentés auparavant, d’en suggérer toutes les
composantes, y compris les plus contradictoires, les plus en tension, « le
moi poétique mourant à sa dépendance artistique en rompant avec la dépendance
affective ».
Il m’est impossible bien évidemment dans cette note de lecture de rendre compte
de toute la richesse de ce livre : biographie oui, histoire d’une œuvre oui,
mais aussi réflexion sur l’éclosion lente, travaillée, éblouissante d’une
immense voix poétique, exploration du contexte (y compris sur le plan de la
difficulté pour la voix poétique féminine a être reconnue : « elle s’était
engagée dans l’écriture pour apercevoir en chemin les obstacles que dressait
pour l’artiste femme la même société qui prétendait transmettre des valeurs de
liberté[5] » !). Et cette
constatation désolante qu’il a fallu son suicide, pour que dès le lendemain,
pratiquement, elle accède à cette reconnaissance qu’elle avait tant cherchée
sans la trouver « faut-il en déduire que la société aime plus les morts
que les vivant, ou bien, pour reprendre une formule tristement célèbre de l’histoire
américaine, qu’un bon poète femme est un poète mort ?[6] »
©florence trocmé, Poezibao 2007
Patricia Godi est maître de conférences à l’Université Blaise Pascal à
Clermont-Ferrand. Sa recherche en poésie américaine a débuté il y a vingt ans
avec la découverte de l’œuvre de Sylvia Plath. Auteur d’une traduction d’Ariel, elle s’est spécialisée dans l’étude
de la poésie de l’après Seconde Guerre mondiale et des poètes femmes.
[1]
Sylvia Plath, "Tendresse", in Ariel,
Presses Universitaires Blaise Pascal, 2004, traduction, introduction et notes
de Patricia Godi
[2]
Patricia Godi, Sylvia Plath, mourir pour vivre, biographie, Aden, collection Le
Cercle des poètes disparus, dirigée par Robert Bréchon, 2007, p. 11.isbn :
978-2-84840-082-2. 25 €.
[3]
p. 17
[4]
p. 51
[5]
p. 350
[6]
p. 345
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