Avec Patrick Beurard-Valdoye,
1
Pour le principe de ces
entretiens, voir la note de
présentation. Je retrace ici les conditions de la rencontre et de
l’établissement de ce premier entretien
infini, noué avec Patrick Beurard-Valdoye, avant d’entrer plus avant dans
les questions que je lui pose et des réponses qu’il apporte. Mais aussi de
donner à lire d’autres aspects de l’échange. La publication de ces quelques
premiers mails m’a paru nécessaire.
Automne 2007
le 26 octobre 2007
(extrait d’un mail de Patrick Beurard-Valdoye, laissé volontairement tel
qu’arrivé dans la boite aux lettres) :
Bonjour Florence, je ne vous connais pas (peut-etre de vue?) mais je connais votre
site de reputation, et en effet Francoise (pardon, je suis a København où je
lis ce matin justement le passage que vous avez tape, avec le plaisir de l` entendre
ensuite en danois...: donc vous voilà privee d'accents j'ignore où ils sont...quant
aux cedilles...) donc Francoise* me dit que vous lui aviez parle de mon Narre. Ce qui m'etonne sur le champ
puisque j'ai effectue les SP la veille. Mais je comprends vite en effet que
Laurent* a deja envoye à des proches. Je
suis alle sur votre site, j ai vu ce que vous y avez mis, en me disant : mais elle
a tout tape elle-meme ? incroyable.[…]
Merci beaucoup, votre message chaleureux me fait du bien juste avant mon recital,
A bientot j espere. Patrick
* Il
s’agit de l’écrivain Françoise Ascal, rencontrée au Salon de la Revue à Paris
et m’informant que je venais de manquer une première rencontre avec Patrick
Beurard-Valdoye.
*Laurent Cauwet, qui dirige les éditions Al Dante
le 30 octobre 2007
(extrait d’un mail à P.
B.-V
J'ai bien avancé en cette absence dans le
Narré et je suis subjuguée. Je crois n'avoir pas lu depuis des années un
livre qui me paraisse aussi novateur et important, et je me ferai fort de le
faire savoir. Je dois achever ma lecture mais je me demandais si vous
accepteriez le principe d'un entretien sur votre travail, via le
mail, pour Poezibao ?
J'ai cherché ce matin de la documentation sur Schwitters, mais rien n'est
vraiment disponible. J'ai fait quelques petites recherches Internet, qui
éclairent parfois ma lecture. Ce serait une des questions, savoir si ce
contexte est si important pour avancer dans la lecture ou pas, selon vous
le 1er novembre
2007
(extrait d’un mail de P.B.-V.)
je reçois votre message le jour de mon anniversaire, et je le prends comme un très
beau cadeau. Merci.
Oui, c'est d'accord pour un entretien.
La question que vous posez déjà est importante. Je crois que vous avez navigué dans
ce champ de connaissance et du sensible avec justesse, au sens où je le souhaiterais
: d'abord la lecture de l'ouvrage, qui devrait avoir une autonomie, une
existence artistique propre, sans que les allusions ou renvois à Schwitters
soient cernables et perturbateurs. Puis que cela donne au lecteur le désir d'en
savoir plus sur son œuvre. Que mon livre soit aussi outil de transmission vers
cet homme merveilleux qu'on connaît si peu, surtout dans la dernière partie de
sa vie.
Le mieux est de consulter le catalogue du centre Pompidou, expo de 1993, on le trouve
encore à la libraire du centre (mais c'est je crois assez cher).
3 novembre 2007
(extrait d’un mail à P.B.-V.)
Cher Patrick, j'avance dans le Narré et je vous envoie, parce que je
pense que les notes d'une lectrice peuvent peut-être vous intéresser et
qu'elles préludent aussi à ma future note de lecture, quelques textes écrits
récemment autour de votre livre.
Teinte bleuâtre d’un mort-né1
« la teinte bleuâtre d’un mort-né » : seconde fois en
quelques jours, dans le Narré, qu’un
tout petit agrégat de mots suscite une ouverture intérieure vers un monde
d’images, de souvenirs, de réminiscences. Il en fut ainsi avec ces « vases
d’odeurs humides », aujourd’hui ces mots-là, teinte bleuâtre d’un
mort-né : étrange sensation suscitée par ces mots, corps en corps, un
double quelque part et pourtant pas. Aucun mort à portée ni porté ni apporté ni
à porter ni apparié gémellaire. Un morceau de tissu, flasque, abandonné, un
mort-né de forme, jamais gonflé, ballon en rade, pas animé, paquet de chair
bleuâtre non sustentée non administrée non enregistrée, laissée sur la
paillasse du labo. Bleuâtre. Mort-né ou né-mort, dans la moraine. Glacé. Vide.
Seul. Dans l’effroi. Petit tas de chair bleui de froid.
1. Patrick Beurard Valdoye, Le Narré
des îles Schwitters, Al Dante, 2007, p. 179
Dans le narré encore
« Kurt entêté d’images » (179)
« Vers quelle voie de vie vais-je, vortex, vortext, Wort-text »(180)
« Schwitters au pied du mur sur le chemin alentourant les bâtiments cueille coquilles brindilles bouts de bois de tissu de papier bouts de signes de vie, ratisse pour enlever de la mort aux choses délaissées ôter tout le poison en patine détrouver les objets en les collant mais ne serait-ce qu’en les regardant, il déambule dans le flou des voies en deçà de la démarcation le cerne tenu par six territoriaux armés qu’il prend garde de ne pas franchir » (181)
Toute mon expérience
d’attention au sol, de ramassage parfois, des délaissés, des laissés pour
compte, petits cailloux, bouts de….et bien sûr en un condensé magistral, la
description du Merz, de l’acte de merzer, du sens de merzer, ôter de la mort
aux choses délaissées !
Et si P.B.-V. faisait la même chose avec l’œuvre de Schwitters et avec
l’errance de tous les déplacés, exilés, « refugees »….: ôter de la
mort aux vies oubliées, aux vies délaissées, aux pensées abandonnées, aux
laissés à eux mêmes, les innombrables. Les de plus en plus
innombrables…. ?
« éveillant à mesure une vague remémorie » (203)
l’art de P.B.-V. d’inventer
des mots, qui ne sont en rien des néologismes, ce serait leur faire injure de
les qualifier ainsi, car ces mots me semblent pure création ( et il se peut
bien que certains aient existé et que le sachant ou parfois ne le sachant pas P.B.-V.
les exhume, eux aussi, leur ôte un peu de mort, à ces mots enfouis sous les
strates du langage en perpétuelle expansion ?)
Schwitters, les étapes d’un exil d’un exode où l’on apprend la longueur du
temps, on éprouve l’angoisse, l’attente, l’incertitude extrême du lendemain, du
sort, de soi, de ceux qu’on aime.
Épisode terrible du suicide du peut-être, peut-être seulement, espion.
Collage et collement [comment dire ?] du narré et des paysages, des ambiances, des couleurs, du style.
Le narré, technique [en est-ce une ? ] très particulière qui traverse le
lecteur. Il est comme pris dans ce fil du narré qui grossit au fur [P.B.-V.
n’ajoute presque jamais le "et à mesure", juste un fur, pas de
mesure, un fur qui fure, sans mesure, un fur agrandi de cette non mesure ]
de l’histoire, c’est un racontage.
à suivre
Commentaires