Le 4 février 2008 vient de
s’éteindre l’une des plus éminentes figures de la poésie luxembourgeoise
d’expression française. José Ensch, qui maniait avec une dextérité remarquable
le vers sous la lampe d’argile, n’était pourtant pas seulement la célèbre Femme
de Lettres réputée pour la qualité et la densité de ses œuvres poétiques, mais
elle était aussi une grande dame pour ses proches et ses amis. Combien de fois
n’a-t-elle pas encouragé les jeunes, ces « fleurs qui hésiteront à
percer »[1],
pour qu’ils poursuivent dans la voie qu’ils se sont tracée ?
José
l’avait bien compris : « tout se résorbe dans la simplicité d’une
rose : tu peux repartir, le cœur léger, les mains nues »[2]. Trouver
l’élégance et la force dans la simplicité, telle fut la gageure qu’elle a
acceptée pour son parcours poétique. Promesse délicate et exigeante que la
poétesse a tenue, car elle savait qu’« on joue une mort aux cartes »[3], la mort
n’étant « rien qu’une coupure / entre ce temps-ci et celui-là / mais
celui qu’on n’imagine pas »[4].
L’espace entre la vie et la mort n’est qu’un espace infime, une lame à double
tranchant sur laquelle se meut l’écrivain à partir du moment qu’il a compris
que c’est « [à] la commissure des eaux et du ciel / [que] le
noir se hausse »[5]. Ce
n’est qu’à ce moment-là que l’œuvre devient « l’espace où la mort se
rend »[6].
La
vie ne s’est pas souvent montrée à José dans sa plus belle robe, mais c’est
dans la littérature que la poétesse a trouvé « [c]ette voix qui
allume les nuits / et jamais ne se pose… »[7]. Les
obstacles furent certainement nombreux et le combat difficile : « J’entends
ta vie / je vois ton combat / je panse tes blessures / bénissant les dieux qui
veulent bien / que tu ne sois pas encore un mort qu’on admire » [8]. Mais,
il y avait encore l’espoir : « la lumière sur le dos / Ma main sur
elle »[9].
José
Ensch a toujours fait preuve de discrétion dans ce monde où les fauves
littéraires se disputent l’ultime tranche d’une gloire illusoire. « Altissima
quaeque flumina minimo sono labuntur ». En grande lectrice de
Saint-John Perse, elle savait que le poète restera toujours un « Homme
d’absence et de présence »[10]. C’est
derrière le masque de bronze qu’est méditée l’œuvre littéraire telle une braise
que l’on croirait éteinte, mais qui continue de crépiter : « Aucun
feu n’est inscrit / dans nos pierres / mais une pupille / de loin / couve des
étincelles »[11].
Même
si la plume est devenue sèche, le chant ne s’arrêtera jamais, car il continuera
de vibrer dans nos cœurs, aux ornières d’un lendemain qu’auront gercé le
silence et la cendre.
contribution de Laurent Fels, photo Wolfgang Osterheld
[1] José Ensch, Ailleurs… c’est certain, Luxembourg, Institut
Grand-Ducal de Luxembourg, Section des Arts et des Lettres, 1985, p. 10.
[2] Ailleurs… c’est certain, op. cit. p.
10.
[3] Ailleurs… c’est certain, op. cit. p.
25.
[4] Ailleurs… c’est certain, op. cit. p.
26.
[5] Dans les cages du vent, Luxembourg, Phi, coll.
« Graphiti », 1997, p. 8.
[6] Dans les cages du vent, op. cit. p.
126.
[7] Dans les cages du vent, op. cit. p. 39.
[8] Ailleurs… c’est certain, op. cit. p.
22.
[9] JPrédelles pour un tableau à venir, Luxembourg,
Estuaires, coll. « 99 », 2006, p. 38.
[10] Saint-John
Perse, « Pour Dante :
Discours pour l’inauguration du Congrès international réuni à Florence à
l’occasion du 7e Centenaire de Dante (20 avril 1965) », in Œuvres
complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », 1972, p. 454.
[11] José Ensch, Prédelles pour un tableau à venir, op. cit.
p. 43.