La
poésie est atteinte quand une œuvre d’art quelconque s’intègre, ne fût-ce qu’un
moment, à la vie réelle de l’homme par l’émotion qu’elle provoque dans son
esprit et comme dans sa chair. La poésie n’est dans rien d’autre que dans la
mise en commun d’aspirations diverses auxquelles l’œuvre d’art peut donner la
violente illusion de s’être rencontrées.
Le
poète ne s’occupe pas et ne doit pas s’occuper de l’émotion que pourra provoquer son œuvre. Il ne doit et ne
peut connaître ou reconnaître, dans son
œuvre, que l’émotion qui lui a donné l’élan nécessaire à sa création. Mais,
plus cette œuvre sera loin de cette
émotion, plus elle en sera la transformation méconnaissable et plus vite elle
aura atteint le plan où elle était, par définition, destinée à s’épanouir et
vivre, ce plan d’émotion libérée où se transfigure, s’illumine et s’épure
l’opaque et sourde réalité.
On
ne fait pas de la poésie. On écrit
des poèmes en risquant sa chance ; on peint des tableaux, on compose un
morceau de musique et il s’en dégage de la poésie ou il ne s’en dégage pas,
c’est-à-dire qu’on a écrit, peint, composé absolument pour rien, ou bien…
Le
poète doit voir les choses telles qu’elles sont et les montrer ensuite aux
autres telles que, sans lui, ils ne les verraient pas.
L’art
et la poésie ne sont là que pour puiser dans la nature ce que la nature ne fait
pas.
Je
vis, d’abord — j’écris, parfois, ensuite. Mais il m’arrive de sentir davantage ce que veut dire vivre en écrivant.
Pierre Reverdy, En vrac, Flammarion, 1989, p. 33, 42-43, 78, 96, 99, 185.
contribution de Tristan Hordé