Nous n’avons que cette
terre.
Il est des pays
où les pierres ne sourient pas.
Des pierres avec seulement leur poids de pierre de colère. Ajouté à celui de la
tristesse aujourd’hui : plus jamais je ne te verrai vivant Darwich.
Si un pays
pouvait se résumer sans se réduire, la Palestine se nommerait Darwich.
Car si rares sont les incarnations poétiques d’une terre dans un être humain.
Il y eut Hugo, il y eut Heine, il y eut Whitman, il y eut Essenine, il y eut
Neruda, il y eut Lorca, il y eut Hikmet. Et Darwich.
Y eut-il depuis
vingt ans un poème qui fit fureur parmi nous ?
Non, il n’y eut pas d’autre poème que « Passants parmi des paroles
passagères » écrit et publié par Darwich deux mois après le début de
« la guerre des pierres », autrement dite la première Intifada, de
décembre 1987.
Ce poème - qui fait toujours fureur - qui demandait le retrait israélien des
colonies, l’arrêt de l’occupation de la terre palestinienne - qui le demandait
poétiquement -suscita une extraordinaire polémique.
À tel point que
Darwich, dans un article publié dans l’hebdomadaire « Al Yawm al
Sâbi » le 18 avril 1988, proposa un marché aux Israéliens :
« Qu’ils suppriment les colonies, et nous supprimerons le poème ».
Cette « affaire du poème » trouva son apogée dans l’extraordinaire
colère du gouvernement israélien, le 28 avril, exprimée dans le discours du
Premier ministre Shamir à la Knesset.
L’affaire du
poème, ce fut le « nous ». Sans ce « nous », collectif
poétique, antienne du poème, il n’y eut pas d’affaire. Car il n’y a pas
d’affaire du je dans les affaires politiques – dans le poème le je est un mot –
le nous est la colère résumée - et le nous était, est, l’incarnation même du
résumé d’une terre à sa « plus simple expression ». Que dire d’autre
que nous – nous qui vivons encore ici, sur cette terre non passagère- une
terre, un fait – et non une parole. Une terre – une langue collective.
Le résumé
poétique – la réduction politique – Le poème dit quelque chose, non d’un peuple
mais d’une terre, d’une terre commune, d’une terre occupée.
Et c’est là que le bât blesse. L’occupation passagère, provisoire, qui finira.
Même si, Darwich, tu ne l’as pas vu de tes yeux, tu l’as dit.
Et le poème pré-dit, pré-voit ; quelque chose est dit de la fin du
provisoire guerrier dans ce poème, qui le signifie. Et c’est cela qui ne fut
pas supporté par le clan des guerriers, d’où qu’ils viennent.
La guerre, on
le sait, est une construction passagère, une manière de faire de la politique,
autrement, quand le reste a échoué. C’est cela même qu’incarne ce poème :
il dit la fin de la guerre, inéluctablement. Darwich aura raison. Et la
victoire des faits par les mots qui les forcent. Il dit que les guerriers
passent – que les guerriers meurent d’où qu’ils viennent, c’est leur métier.
Il dit, ce
poème, comme presque tous les poèmes de Darwich, que la terre est immuable, il
dit la patrie. Oh ! ce n’est pas bien moderne ! diront certains. La
patrie… Qui y pense aujourd’hui ? Darwich aura raison. Une guerre après
l’autre en Europe ; des guerres partout sur la planète. Pour quoi se
battent-ils ces guerriers ? Et nous n’avons pas tout vu…
Tous les poèmes
de Darwich chevauchent sur le cheval de la paix, tous. Tous les poèmes de
Darwich sont engagés vers la paix.
C’est cela que disait le poème de « l’affaire du poème » de
1988. : appeler la paix sur sa patrie.
Et il est mort
hors de sa patrie mais:
« Et poursuivant ce qui ressemble à
la mort, nous vivons. Et cela qui ressemble à la mort est victoire »
écrit-il à la fin du poème « Le vent nous est hostile » (recueil
« Plus rares sont les roses »).
Darwich aura raison. Car ainsi que l’écrivait Tsvetaïeva dans une lettre à Pasternak : « Je prends tout pour mon tombeau, afin que, dans des millénaires, le grain germe ». Nous, poètes, avons tout notre temps.
© Dominique Dou. Août 2008
Mahmoud Darwich
dans Poezibao :
Bio-bibliographie, actualité de (janvier 06), extrait 1
Dominique Dou
dans Poezibao :
extrait
1, L’énergie
de l’erreur, note de lecture, "après la mort d’A. Robbe-Grillet"