En écho à l’article d’Olivier Goujat que Poezibao vient de publier et en préambule à l’intervention (ce soir sur France Culture, émission « Surpris par la nuit », 22h15) de Didier Cahen, coordinateur d’un dossier Jabès dans le dernier numéro de la revue Europe, deux extraits de l’œuvre d’Edmond Jabès. Le second reprend une citation proposée par Olivier Goujat, en l’amplifiant.
Une nuée d’humains, étrangers à leur état, à leur labeur ;
étrangers à leurs pas, aux pavés de la ville ; noués encore à la terre
enveloppée de brumes : comment les nommer sinon d’un nom global qui les
rive à un grand feu de deuil, comme à un même fer ?
Le peu de cendres que j’emporte – où ? pourquoi ? – prélevé de cette
haute montagne qui surplombe le monde, est-ce le corps d’un ami, d’un ennemi ?
– ou, qui sait ? moi ; moi dans les autres ; cette partie brûlée
de moi en chacun d’eux ; mais ils furent si nombreux qu'il ne subsiste, en
moi aujourd’hui, presque plus rien de moi.
Foule dévoreuse, dévorée par les flammes ; foule en poudre. Ecrire,
désormais, serait-ce, pour moi soustraire les cendres de mon nom de celles du
leur ?
Il reste toujours, en quelque endroit discret, une flamme à l’affût du moindre
fétu de paille et qui refuse obstinément de s’éteindre, ivre d’incendie.
Les morts de demain sont légions. Les livres en font foi qui, avec la
régularité des choses mortelles, se succèdent. Le futur à jamais n’est qu’un
mot en souffrance.
Edmond Jabès, Le Livre des ressemblances,
Gallimard, 1976, p. 64.
Le geste d’écrire est, en premier lieu, geste du bras, de la
main engagés dans une aventure dont le signe est la soif ; mais la gorge
est sèche et le corps et la pensée, attentifs. Ce n’est que plus tard que l’on
s’aperçoit que l’avant-bras sur la page marque la frontière entre ce qui s’écrit
et soi-même. D’un côté le vocable, l’ouvrage ; de l’autre, l’écrivain. En
vain chercheront-ils à correspondre. Le feuillet demeure le témoin de deux
monologues interminables et lorsque la voix se tait, de part et d’autre, c’est
l’abîme. [...] la parole transcrite, aux poignets de laquelle nous avons passé
les fers, que nous avons naïvement cru fixer, conserve sa liberté dans l’étendue
de sa pérennité nocturne. Liberté éblouie qui nous effraie et nous angoisse.
Edmond Jabès, Ça suit son cours, Fata
Morgana, 1975, p. 50
bio-bibliographie d’Edmond Jabès
Didier Cahen a consacré en 2007 un livre de la collection Poètes d’Aujourd’hui, chez Seghers à Edmond Jabès : note de lecture (par Florence Trocmé) de ce livre sur Poezibao .
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