Le chemin vers
l’autre pour des retrouvailles est toujours obscur, plein d’embûches, et qui
sait où il aboutit. Lyrisme pas mort : le livre s’ouvre avec sur la page
de gauche la photographie d’un arbre, et en regard une "légende" à
propos du cœur gravé sur l’arbre, symbole de l’union impossible à défaire —
mais la légende s’achève par « la solitude est enfermée dans le
cœur ». L’arbre et le cœur sont toujours présents alors que le narrateur a
reçu « une lettre d’adieu ». Atteindre la cabane et ce qu’elle
représente (le lieu clos où les cœurs se reconnaissent), suppose un long
parcours dans l’espace : passage de la Tille, un affluent de la Saône, à la
forêt de Velours près de Dijon, aux paysages de l’Yonne et au village de Bourré
au bord du Cher. L’eau et les arbres, donc la fraîcheur, le renouveau
s’opposent nettement à tout ce qui se rapporte à la ville, lieu du désastre, de
la séparation, de la mort : « vivre en ville est un hiver permanent »,
« la ville au fleuve boueux est un trou / dans lequel il faut tenter de
vivre » et la maison est vide de la présence de l’aimée.
L’errance dans des espaces qui évoquent tous la « verte
tranquillité » de la campagne, a pour but de retrouver des traces de ce
qui a été entier. On remonte dans le temps des souvenirs, ce qu’indique la
mention des dates de l’écriture, 1983-2007, en sachant que le terme est celui
de la séparation. Le temps passé, lui, et particulièrement le moment où le cœur
est inscrit sur l’arbre, le moment de la confusion amoureuse est « un
temps où le temps est aboli » :
Dans un temps où nous parlons dans la bouche de l’autre & où l’amour rejette toute autre occupation, car dans la bouche nous parlons la langue de l’autre & ces deux langues mêlées deviennent l’avenir de la langue.
Dans ce temps
où la durée est étale, Montaigne, Chateaubriand, Proust, Augustin,..., Mann,
Bernhard se côtoient. C’est le temps rêvé du paradis, sans hier et sans demain,
où rien ne bouge, comme le temps de l’enfance : la petite maison du
narrateur, « ressemble à la petite maison / de mon enfance / où je suis
heureux pour toujours ». Ce temps de la mémoire n’est plus, et s’impose
celui d’un présent indéfini (« Trois jours, trois mois, trois ans »),
celui de l’attente du retour — « car tu reviendras / je le sais » —, vécu dans l’isolement, temps de
l’immobilité, de la pluie, de toutes les herbes qui recouvrent le chemin vers
la cabane, d’une longue lettre qui n’a pas d’autre destinataire que le lecteur.
Vers et prose se mêlent pour dire encore qu’un seul être vous manque... S’y
ajoutent des photographies qui introduisent un effet de réel dans le
livre : plaque d’une rue en accord avec la mélancolie du texte (Venelle du crépuscule), fragment d’une
nature exubérante, croisées d’une fenêtre donnant sur un jardin, chemin enherbé
vers la cabane ; la dernière, un papillon de papier (mais il y a un
papillon bleu près de la cabane) recouvre en partie le manuscrit du livre,
répond d’une certaine manière au dernier vers, « Il dit qu’un homme peut
mourir d’une lettre perdue ». Écho à ce qu’écrivait Pascal Quignard dans Vie secrète : « L'amour est un
don sans pitié parce que rien ne console de sa perte. L'amour est lié au perdu
: c'est pourquoi toute perte le vérifie. C'est la plus intense des
douleurs. »
Contribution de Tristan Hordé
voir cette autre note de lecture
Claude
Chambard,
le chemin vers la cabane,
Le Bleu du ciel, 10 €.