Il y a une indéniable force du poème qui tient à la
situation : le face à face avec la « chère dépouille » de la
mère sur son lit de mort. Pas d’élégie, pas de pompe funèbre, une méditation en
quatorze proses courtes dans lesquelles tout est saisi à partir du corps, et
plus précisément du « souffle ». Celui du poète, bloqué mais vivant,
et celui de la morte, clos. « Comment voir-respirer devant ce qui est là
de la dépouille, étrangère à tout souffle ? » C’est bien pourtant
cette expérience en apnée qui a lieu et permet de rejoindre l’autre aux yeux
fermés, aux lèvres « scellées ». « Et je respire tout entier par
les yeux qui pompent vers eux la faible lumière répandue sur ce masque. »
Quelques images secondaires et simples sont utilisées comme la
« flamme », ou le tarissement, « le lit creux du torrent d’où
l’eau a fui », ou encore le « trou soufflant » du Mont Ventoux…
Mais l’intensité du poème vient de cette approche directe, pneumatique,
corporelle, du deuil. C’est pourquoi on peut être moins sensible au texte en
italiques qui de page en page ourle en quelque sorte les pavés de prose, indiquant
une autre saisie, peut-être plus haute, mystique ( ?), mais peu accessible
au non-initié : « Mais la
source est recluse, à jamais / au plus lointain, au plus inatteignable, / aux
confins intérieurs du point, / au centre du cercle le point est un masque qui
scelle la source de tous les possibles. »
C’est ramener la Poésie par la fenêtre alors qu’on l’avait fait
sortir par la porte de prose. On comprend la tension de langue ainsi créée,
mais on peut préférer le registre dominant dans ces pages : une poésie sans envol face à la réalité brute
d’un corps aimé qui « a laissé son
souffle au portemanteau. »
Contribution
d’Antoine Emaz
Joël-Claude
Meffre
Respirer par les yeux
Wigwam (72ème
titre de la collection)
16 pages, 4,57 €
voir le site des
éditions Wigwam
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