Écrire me rend malade. Toutes mes
journées de travail se partagent entre ce bureau et le lit où je vais
m’étendre, la main posée sur mon côté droit, pour me calmer. C’est ce
va-et-vient entre les deux lieux qui est à la base de tous mes livres. Parler
de l’écriture sans tenir compte de cela serait impossible ou mensonger. Tout
passe par la douleur physique et, pourtant, je continue d’écrire. Je ne sais
faire que cela. Je crains même qu’il n’y ait désormais chez moi une sorte de
course tout à fait incessante avec l’écriture devenue besoin, exigence, au même
titre, par exemple, que la respiration. Et si, d’emblée, j’évoque la
respiration, ce n’est nullement par hasard. Je lutte à peu près constamment
pour mieux respirer. Je suis hanté par la peur d’étouffer. D’ailleurs je suis
persuadé que cela est en rapport direct avec ce que j’écris.
En fait, j’ai la sensation d’écrire constamment, d’être sans arrêt en train
d’imaginer des fictions possibles et c’est là une manière très consciente je
crois de réagir aux chocs. Je suis presque persuadé que l’écriture est liée,
viscéralement, à ma vie. Vie médiocre égale passage à vide et silence. Je crois
que l’écriture est devenue la vie et la vie l’écriture.
[…]
Je veux dire tout simplement que mon travail est devenu davantage lié à l’organique. Lorsque l’angoisse monte, physiquement, dans les os et les muscles, comment écrire d’une manière involontaire ? C’est impossible. C’est le corps qui entraîne et fait régner sa loi. Ce n’est donc pas un hasard si je me suis mis à l’écoute de tout ce qui se passe à l’intérieur de moi et s’il m’est arrivé d’évoquer aussi concrètement le cœur, le foie, les muscles ou l’estomac. L’écriture naît de tout ce réseau corporel. Elle doit en restituer les heurts, les tensions, les troubles.
« Écrire, entretien avec Dominique Labarrière », in L’Homme en guerre, Parole d’Aube 1995, La Renaissance du Livre, 2000
Contribution de Jean-Pascal Dubost qui donnera prochainement une note de lecture du livre de Franck Venaille, ça.