« Mot à mot, l’écriture reconstruit / Pierre à
pierre / L’appartement / T’y transporte / Te voilà jeune encore malgré tes
cheveux blancs ». En 2007, dans Le
parfum des pierres aveugles (éditions Clarisse), Isabelle Guigou avait su
trouver le juste équilibre entre l’émotion restituée par la poésie et l’évocation
d’une réalité douloureuse. Le Brighton
West Pier que vient de publier Le chat qui tousse naît, de nouveau, du
rapport entre un lieu et ce qu’en retranscrit la mémoire sensible de l’auteur.
Ce
West Pier de Brighton, au sud de l’Angleterre, est une jetée du XIXème siècle
sur laquelle se trouvaient échoppes et salles de concerts. Mais depuis plus de
trente ans le lieu est fermé au public. « N’habitent / Le West Pier de Brighton / Qu’oiseaux et photographies
anciennes / La passerelle métallique / S’incline / À genoux dans la mer/ Le
temps rabote l’arrogance / L’approche du rien nous plie à l’essentiel / Là, un
squelette / Que la mer démembre ».
Il y eut de la vie en ces lieux, de la joie, des relations tissées entre les
êtres. Mais de là, comme de la maison familiale de Pézenas évoquée dans Le parfum des pierres aveugles, la vie
s’est retirée, comme une marée descendante définitive. De la méditerranée à la
Manche, l’évocation a changé de rivage mais aussi de dimension, passant du cercle
familial à un lieu public désormais désaffecté. Le West Pier semble figurer la
descente inexorable vers la mort tandis que la passerelle parallèle, la East
Pier, « plus moderne / Avec ses
grandes roues et autres attractions / qui vous décollent du sol / Rabâche / Nos
rêves de dépasser / La terre ». Paradoxe à vouloir ainsi quitter le
sol, car aller au ciel peut aussi bien signifier s’élever, spirituellement, que
cesser de vivre.
Quelle
quête poursuit Isabelle Guigou dans ce poème ? Peut-être « pénétrer la mer / Comme si nous pouvions
féconder / l’éternité ». Qu’en espère-t-elle ? « Assise sur le bord / Tu attends que le flot
t’insuffle / La semence de l’horizon ». L’eau et ses cycles, porteuse
de renouvellement, quand bien même le point d’où on l’observe est vermoulu et
laisse apparaître un squelette « que
la mer démembre ». Tout ceci est exprimé sans afféterie, dans une
juste distance entre le refus du cliché lyrique mais aussi du cliché prosaïque
– une poésie à hauteur d’être, qui regarde le ciel et le sol dans un même
mouvement circulaire et rend compte des deux plans, terrestre et céleste.
La poésie d’Isabelle Guigou sait poindre sans s’en gargariser. Elle vise juste
sans s’en flatter. Cette humilité se retrouverait-elle dans ces vers, allant
jusqu’à la négation de soi ? « Les
vagues n’auront pas même / À rouler tes os : / Tu ne fus jamais que le
débris / D’un toi impossible ». De ces quelques mots doucement
assemblés, jaillit une dureté quasi nihiliste. Quasi, car la vague continue de
rouler et apporte à la fin du poème, malgré la disparition programmée des
bâtiments fermés du West Pier, « Une
lueur d’espoir notre phare / Un mot / D’amour / Pour ceux qui voguent ».
Sur
des thèmes aussi usés et chancelants que le rivage, la mer, la mort, l’appel du
large, Isabelle Guigou place sa voix. Peut-on la dire moderne ? Elle apparaît
surtout humaine et intemporelle et cela, sans réfuter l’interrogation
contemporaine sur la fabrique du poème : « (L’écriture / Une parole sur pilotis / Que cerne et emplit / Le
silence) ». L’aphorisme tombe juste lui aussi ; il a sa raison
d’être dans le mouvement de ce texte à la fois ample et condensé (une quinzaine
de pages au format carnet, comme l’affectionne Le chat qui tousse en la
personne de son éditeur, Franck Cotet). Qu’Isabelle Guigou se rassure :
oui, elle réussit à parler « à la
mer comme à un dieu ». Oui, elle sait trouver le langage qui lie cœur,
corps et esprit.
Un
être juste, vraiment, jusque dans son écriture.
Isabelle Guigou
Brighton West Pier
Le Chat qui tousse (2009)
20 pages, 5 euros
[email protected]
Contribution de Loyan