En trois ensembles 111 points de contrôle, Voix éditions, 2007,Cheval porteur sur publie.net en 2008, et aujourd'hui Cabine double, chez Ragage, Bruno Fern s'est inventé une écriture singulière et a délimité son, ses territoire(s). Ces textes sont rigoureusement composés de séquences généralement brèves, à l'indicatif et au participe présent, qui s'articulent souvent les unes aux autres par des "embrayeurs" qui peuvent être un mot, un morceau de mot, une formule-type, pas toujours repérables immédiatement, parfois implicites, ainsi pour Cabine double, dans la plupart des cas : "il la...", obligeant le lecteur à faire un effort puisque "le montage comporte tout / de même quelques options". Vers brefs, dégraissés, laconiques, taillés dans le vif, à la serpe, subtilement démantibulés, à la syntaxe bousculée "à rebrousse/poil" à travers lesquels Fern explore des limites, des marges, brouille des codes stéréotypés, mais ne dérape jamais complaisamment dans l'inintelligible chic. Même chose pour les désopilants calembours dont il parsème son texte sans dépasser la dose au-delà de laquelle ça deviendrait fastidieusement systématique. Il s'agit surtout de désamorcer le sérieux et d'installer ce qu'il faut d'ironie: "...l'attelle qu'en elle-même", "...en aha / nant pouvant plus", "paupières baissées sans or / bite", "l'être glabre et abs / cons". Fern entrelarde également son texte de quelques citations minimalistes d'auteurs signalés par leurs seules initiales, de Verlaine à Prigent.
Quant au territoire ainsi parcouru, c'est presque exclusivement le corps. Souffrant, mourant, ici jouissant. Pas, peu d'extérieur / jour. Poésie essentiellement organique. Ce n'est certes pas de la poésie pure, et Fern, clinicien de la langue, n'a pas froid aux yeux. Il s'agit donc de séances, de dispositifs ou de "performances" érotiques, codés, ritualisés, protocolaires pourrait-on dire, parfois brutaux, tout cela étant exposé froidement, sans précautions oratoires, avec une sorte de neutralité et d'objectivité curieusement jubilatoires et les mots violemment crus qu'il faut quand il le faut. Mais la "représentation" est lacunaire (heureusement) et les trous, si l'on peut dire, autorisent le lecteur, si ça l'amuse, à fantasmer autant qu'il veut. L'intérêt de Cabine double réside donc d'abord dans la mécanique textuelle qui se superpose, tout en se décalant, à la mise en scène érotique où la langue "montre son anatomie si ça lui chante", sachant ce que ce travail finit parfois par révéler:
d'un
coup retournée là
qu'elle
montre les parties charnues
de
l'écriture ou ses armatures moulées importe peu
le
squelette s'y trouve déjà
enfoui
vivant qui n'attend pas son heure
Contribution d’Henri
Droguet
Bruno Fern:
Cabine double
Ragage Editions 2009
14 €
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