« De la
confrontation entre les langues j’ai appris ceci : le mot n’est pas unique
ni univoque, le mot n’est pas solitaire, le mot n’est pas individuel. Il est
collectif. A la limite ou idéalement, il rassemble en lui les autres.
Qu’on essaie d’en creuser un, et l’on constate qu’il a quelque chose en commun
avec un autre et cet autre à son tour avec un autre, comme chaque individu se
retrouve chez son voisin et celui-ci chez un autre voisin. L’onde de partage se
propage à travers tout le vocabulaire, les mots s’allument au contact les uns
des autres, chaque texte est une traînée de poudre.
Le mot ne prend sens qu’en relation ou en opposition avec ses congénères. Le
travail de l’écrivain consiste à l’insérer dans un ensemble de manière à faire
reconnaître la plénitude de toutes ses significations réunies, ou au contraire
à en isoler la nuance la plus précise, en révéler la nuance encore inédite.
La poésie est le genre qui pousse le plus loin cette double tentative. La
traduction aussi à un moindre degré.
Claire Malroux, traces, sillons, José Corti, 2009, p.
123.