Poezibao continue à piocher dans les revues
récemment parues pour l’anthologie permanente, espérant ainsi focaliser
l’attention sur le travail considérable que les revues accomplissent pour faire
connaître les poètes, d’ici et d’ailleurs, débutants, reconnus, méconnus,
d’hier et d’aujourd’hui.
Fin de cette semaine spéciale revues avec une grande dame, la revue Europe, qui très régulièrement inscrit
la poésie à son programme, soit sous forme de grands dossiers, comme tout
récemment Mandelstam (n° 962/963 de juin/juillet 2009) ou Rimbaud (n° 966 d’octobre
2009), soit par des textes publiés dans le cahier de création. Extrait du
numéro Mandelstam de l’été 2009, un ensemble autour du Voyage en Arménie.
« Au début de 1930, Mandelstam est à bout de souffle.
Depuis cinq ans, il n’a plus écrit de poèmes. [...] L’Arménie apparaît déjà
comme un refuge, que le sort lui a tout d’abord refusé : le commissaire du
peuple à l’Éducation de la République d’Arménie l’avait invité à donner des conférences
à l’Université d’Erevan, mais sa mort avait fait échouer le projet. Le voyage
tant désiré aura finalement lieu grâce à l’appui de Boukharine. En avril 1930, le
poète et son épouse séjournent à Soukhoumi, puis gagnent l’Arménie, où ils
resteront jusqu’au mois d’octobre. Sur le chemin du retour, Mandelstam
recommencera à écrire des poèmes. »
Laure Troubetzkoy, « De l’air dérobé
aux confins, Retour aux origines et science du vivant dans le Voyage en
Arménie », revue Europe, n° 962/963
de juin/juillet 2009, pp. 66 et 67.
•
« En outre, une certaine légèreté a fait irruption dans ma vie, habituellement
aride et désordonnés – cette vie qui, telle que je me la représente, est la
lancinante attente du tirage d’une loterie où l’on gagne à coup sûr et dont je
pourrai retirer tout ce que je veux : un morceau de savon à la fraise, des
journées aux archives parmi les incunables, ou ce voyage en Arménie que l’ai
longuement désiré et qui ne quitte plus mes rêves
[...]
Achtarak
Je veux connaître mon ossature, ma lave, le fond même de mon tombeau [être
témoin du moment où la vie souterraine s’ébroue soudain en magnésie et en phosphore,
surprendre son premier sourire : vie d’arthropode ailé, écumante,
bourdonnante]. Déboucher vers l’Ararat, vers ses lisières qui s’effritent,
graillonnent, expectorent. De toutes les fibres de ma personne, je veux m’arc-bouter
sur l’impossibilité du choix, sur l’absence de toute liberté. Je veux répudier
de bonne grâce la lumineuse absurdité de la volonté et de la raison. Si j’accueille
comme ineffaçables et juste l’immersion totale dans les sons, la minéralité du
sang et la solidité de la pierre, mon voyage en Arménie n’aura pas été accompli
en vain ;]
Si j’accueille comme justes et méritées l’ombre du chêne et l’ombre du tombeau,
et la dureté de pierre de la parole articulée – quelle perception aurai-je
alors de l’époque actuelle ?
[Qu’est-elle pour moi ? Un faisceau de points d’exclamations et d’interjections !
Et pour cela je vis…]
Telle est précisément la raison pour laquelle je me suis tourné vers l’étude du
vieil arménien.
Ossip Mandelstam, « Compléments au
Voyage en Arménie », traduction de Jean-Baptiste Para, revue Europe, n°
962/963 de juin/juillet 2009, p. 94.
•
V
Emmaillote ta main dans un foulard
Et sans craindre les épines de celluloïd
Dans le diadème des roses sauvages
Plonge-le jusqu’au craquement sec.
Point de ciseaux pour l’églantine !
Prends garde cependant, un rien la défeuille –
Copeaux de rose – mousseline – pétales de Salomon,
Sauvageonne impropre au sorbet, sans essence, sans parfum
XII
Azur et argile, argile et azur,
Que te faut-il de plus ? Pareil au shah myope
Qui scrute sa bague turquoise, plisse plutôt les yeux
Pour mieux voir le livre des argiles sonores,
La terre écrite, le livre séreux, l’argile bien-aimée
Qui nous tourmente comme la musique et comme le mot
Tiflis, 16 octobre-5 novembre 1930.
Ossip Mandelstam, « Arménie »,
traduction de Jean-Baptiste Para, revue Europe, n° 962/963 de juin/juillet 2009,
p. 100.
Ossip
Mandelstam dans Poezibao :
biobibliographie,
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1, extrait
2, extrait
3, extrait 4
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