Le dernier
signal de fumée
pour saluer Jacques Josse « à chaud » après la lecture du
« dernier » Wigwam
Wigwam c’est
une « maison » d’édition
(notons que l’étymologie du mot c’est « justement » l'algonquin wikiwam « leur maison »)
de poésie. Une « petite » maison d’édition de poésie qui existe
depuis 19 ans exactement. Le Grand Sachem Jacques Josse a petit à petit
attiré auprès de lui 81 « indiens » et « squaws », une
tribu s’était ainsi peu à peu constituée depuis le premier livret paru, Soliflore
désordonné de Matthieu Messager jusqu’au dernier qui vient juste de paraître, Boucans de Henri Droguet, « achevé d’imprimer le 10 juin
2010 ».
Même format inchangé depuis le début, même pagination restreinte (12 à 20
pages), même couverture d’une grande sobriété (seule la couleur a changé au
fil des ans pour finir par une
magnifique « peau » rouge), même tirage « limité »
(200 exemplaires et Jacques ne « retirait » pas un ouvrage
épuisé : geste très zen, la flèche avait été tirée nul ne pouvait la
retenir), même obligation de découper soigneusement les pages non massicotées (je choisissais toujours pour ce faire
un vieux gros couteau de cuisine au manche patiné, faute d’avoir un
bowie-knife !). Même extrait manuscrit en 4eme de couv’. Bref,
un certain entêtement, une constance, une obstination, une persévérance
(j’étale mon vocabulaire), une opiniâtreté (je l’avais sur le bout de la
langue celui-là mais il ne venait pas). Envie de dresser le portrait de J. Josse
en indien (il en a la longue chevelure raide façon Cochise) en haut d’une
montagne auprès d’un grand feu et faisant des signaux de fumée, par tous les
temps, imperturbablement, qu’il pleuve vente ou sous le cagnard .
Pourquoi vient-il de décider de s’arrêter ? Peut être pour ne pas avoir 20
ans … d’édition ? pour en rester à un nombre en –teen, nineteen !
Après 20 ans on a du mal à faire semblant de croire à la victoire possible des
indiens contre les tuniques bleues, on sait que ça se termine toujours en
«wounded knee » ou en « piste des larmes ».
Et puis les temps sont lourds, les cieux assez plombés : les subtils signaux
de fumée ont grand peine à être aperçus. Sans compter qu’aujourd’hui
plus grand personne n’a le nez en l’air pour déchiffrer les messages dans le
ciel : les yeux sont fixés sur les écrans et leur pouvoir hypnotique.
D’autres présenteront mieux que moi le « dernier » Wigwam, le
magnifique Boucans d’Henri Droguet,
je noterai juste que tout à fait involontairement il met un « point
final » étonnant à l’aventure éditoriale de Jacques Josse. Les derniers
vers du livre et donc les derniers que Jacques aura édités sont ceux-ci,
splendidement bluesy et très « indien » :
"toutes les giboulées sont chues
désormais le soir rondement
la lune monte au dessus du laurier
on entend le vent vaguement
dans l'arbre bruissant
comme lui sans mémoire"
par Roger Lahu
note 1
Geronimo a écrit ces lignes : « Quand j’étais enfant, ma mère m’a
enseigné les légendes de notre peuple, elle m’a appris le soleil et le ciel,
la lune et les étoiles, les nuages et les orages… » . )
note 2 :
Dans le Grand Robert il y a trois citations à l’article
« Wigwam »
Dont celle-ci :
…« nous nous rompions la poitrine à pousser les hurlements les plus aigus
et les plus sauvages pour leur indiquer la direction de notre wigwam, au cas
qu'ils n'en pussent apercevoir la flamme.
Th. Gautier, Voyage en Espagne
note 3 :
Si la publication des Wigwam se termine, il n’en va pas de même pour la diffusion qui, elle, bien sûr, continue
Sur Boucans, lire aussi la note
de Bruno Fern et découvrir un
des textes dans l’anthologie permanente de Poezibao