Poezibao a publié hier une note de lecture de Jean-Pascal Dubost à propos d’une anthologie de la poésie baroque française, parue récemment dans la collection de poche de La Table Ronde, La Petite Vermillon.
À cette occasion le site propose trois extraits de cette anthologie, incursion exceptionnelle hors du champ temporel habituellement couvert.
Guillaume de Saluste du Bartas (1544-1590)
Ce premier monde estoit une forme sans forme,
Une pile confuse, un meslange difforme,
D’abismes un abisme, un corps mal compassé,
Un Chaos de Chaos, un tas mal entassé :
Où tous les elemens se logeoyent pesle-mesle :
Où le liquide avoit avec le sec querelle,
Le rond avec l’aigu, le froid avec le chaud,
Le dur avec le mol, le bas avec le haut,
L’amer avec le doux : bref durant ceste guerre
La terre estoit au ciel et le ciel en la terre.
La terre, l’air, le feu se tenoyent dans la mer :
La mer, le feu, la terre estoyent logez dans l’air,
L’air, la mer et le feu, dans la terre : et la terre
Chez l’air, le feu, la mer. Car l’Archer du tonnerre
Grand Mareschal de camp, n’avoit encore donné
Quartier à chacun d’eux. Le ciel n’estoit orné
De grands touffes de feu : les plaines esmailles
N’espandoyent leurs odeurs : les bandes escaillees
N’entrefendoyent les flots : des oiseaux les souspirs
N’estoient encore portez sur l’aille des Zephirs.
Tout estoit sans beauté, sans reglement, sans flamme.
[...]
|•|
François Maynard (1582-1646)
Adieu, Paris, adieu pour la derniere fois.
Je suis las d’encenser l’Autel de la Fortune,
Et brûle de revoir mes rochers et mes bois,
Où tout me satisfait, et rien ne m’importune.
Je n’y suis pas touché de l’amour des Tresors.
Je n’y demande pas d’augmenter mon partage.
Le bien qui m’est venu des Peres dont je sors,
Est petit pour la Cour, mais grand pour le Village.
Depuis que je connoy que le siecle est gasté ;
Et que le haut merite est souvent mal-traité,
Je ne trouve ma paix que dans ma solitude.
Les heures de ma vie y sont toutes à moy.
Qu’il est doux d’estre libre, et que la servitude
Est honteuse à celuy qui peut estre son Roy !
|•|
Tristan L’Hermite (1601-1655)
La mer (extrait)
[...]
L’eau qui s’est, durant son reflus,
Insensiblement évadée
Aux lieux qu’elle ne couvre plus,
A laissé la vase ridée.
C’est comme un grand champ labouré ;
Nos soldats d’un pas assuré
Y marchent sans courir fortune,
Et s’avançant bien loin du bord,
S’en vont jusqu’au lict de Neptune
Considerer le dieu qui dort.
Le vent qui murmuroit si haut,
Tient maintenant la bouche close
De peur d’éveiller en sursaut
La divinité qui repose.
La mer dans la tranquilité
Avecque tant d’humilité
Dissimule son insolence
Qu’on ne peut soupçonner ses flots
De la cruelle violence
Dont se plaignent les matelots.
Le soleil à longs traits ardans
Y donne encore de la grace,
Et tasche à se mirer dedans
Comme on feroit dans une glace ;
Mais les flots de vert émaillez
Qui semblent des jaspes taillez,
S’entredérobent son visage,
Et par de petits tremblements
Font voir au lieu de son image
Mille pointes de diamants
[...]
Mon âme, il faut partir, Anthologie de la poésie baroque française, sous la direction de Jorge Gimeno, La Petite Vermillon, La Table ronde, pp. 22, 138 et 246.
Lire la note de Jean-Pascal Dubost à propos de cette anthologie.
S’abonner à Poezibao • Une de Poezibao