Il y eut autrefois, des représentations du poète ; et les peintres de broder sur la figure orphique, sur la lyre les oracles delphiques. On voyait des têtes rouler le long des flots, reposer sur des cordes, on entendit même des voix.
délyrer pour mieux prophétiser ou mieux « poétiser ». Et l’univers semblait saisi par l’indicible
fureur d’une inspiration ; elle poussait les René de chaque siècle à s’inventer nouveaux.
Certains, aujourd’hui, croient encore – littéralement ? à leur insu ? à la
figure du poète. Soit. Quelle importance ? La question n’est pas là, ou plus là.
La mise à nu du poète par ses poèmes-mêmes passe par le renoncement à toute figure qui ne soit fuyante
plat masque funèbre poli de l’homme, enfin devenu, par sa mort, œuvre, face figée, face morte, face indifférant, invariablement minérale, mine, aune pâle et râle de la poésie envisagée figurable.
Elle énonce la disparition du poète, sa défiguration du monde réel, son effacement dans l’œuvre que la mort achève, et l’oubli.
Qu’elle soit ou non prématurée importe peu ; elle de tout façon elle aussi achevée, pour nos lecteurs, que celle de Pascal : elle depuis toujours achevée. Bien peu d’écrivains peuvent se targuer d’avoir mis un point final à leur œuvre de leur vivant avoir tracé d’eux-mêmes l’ultime touche de portrait en creux
incarnation de la figure du poète dans l’œuvre image floue dispersée dans les mots perdue image ni fausse ni vraie image non mimétique différée différant image dans la durée les variations de sa syntaxe du portrait par essence immobile.
Puisque les mots sont là Thrace du monde réel. Dans la langue en travail, en souffrance de travail, infiniment plastique, il s’invente, se naît, se crée, se crie, se nie, figure diffractée,
dans les mots de la prose et du vers.
Et les gueuloirs, les incidents biographiques, ne sont que de peu d’intérêt et peut-être d’aucun ; romans ils s’excluent de ce qu’ils prétendent cerner.
Benoît Conort, Ecrire dans le noir (p. 99-100), Champ Vallon, 2006
Jean-Pascal Dubost