Il s’agit d’un journal des Obstacles. Toutes les difficultés, falaises, récifs, passages longuement cherchés, longuement introuvés, menaces de naufrages ou d’échouements pour des raisons techniques, des problèmes survenant dans la narration lorsque l’on se trouve dans des parages où les hommes ne se sont pas encore aventurés, ou bien, s’ils l’ont fait, d’où ils ne sont pas revenus témoigner – mais les raisons techniques sont naturellement le signe ou le résultat de résistances mentales. La navigation s’en trouve fortement et jusqu’à violemment perturbée. Il n’est pas rare qu’on reste (On, veux-je dire) immobilisé, saisi entre les dents d’un géant pris et prenant dans les glaces. Pour une durée indéterminée, mais qui semble toujours une éternité. Ajoutons à ces malheurs, que les navigateurs des ultimes connaissent trop bien, le fait horriblement angoissant que les glaces fonctionnent non seulement comme forces de rétention, inhibition, annulation, etc., mais aussi comme miroirs. Et c’est alors en supplément aux tourments du corps, la persécution par les reflets, par les images brisées, multipliées et fixes. On se voit dans des cages de glace.
Hélène Cixous, Revirements, dans l’antarctique du cœur, Galilée, 2011, p. 41 et 42.