Sur le principe du feuilleton, voir ici
Ludovic Degroote, La Digue, 1, 2, 3
Ludovic Degroote, La Digue, épisode 4
On ne sait pas où on va parce qu’on ne sait jamais ce qui vient, c’est dans la tête très vite que ça se passe, une sorte de pluie, quelque chose qui mouille et ne transperce pas.
Ce avec quoi on vit dedans et qui nous entoure, on ne le touchera jamais, ça ne fait pas de bruit, à peine un souffle quand ça se retire, lâché par le silence.
De temps en temps on trouve un raccord, on va d’un pan à l’autre, on ne progresse pas, on avance, juste de quoi passer – demeure devant fidèle un fond de solitude.
Où on va on n’en sait rien, seul comme si ça pouvait sauver de tout le reste au bout ça tient le coup, ça ne varie pas, où ça mène on n’en sait rien non plus, pour l’instant on est là, contraints d’avancer, il n’y a pas de petite vie, seul ce goût d’aller moins vite, de traîner, de se maintenir.
Ça arrive, on oublie qu’on est sur la digue, le temps qu’elle nous traverse la pluie oblique dure, levant ce qui pèse – le reste remue, à côté -, on ne sent que cela, qui pèse, le monde y tient.
Recommencer les mêmes gestes, les user, comme si c’était possible de les entrevoir au moment où ils nous lâcheront, on dit les mêmes choses parce qu’on n’arrive pas à en dire une, où on peut se retrouver on n’en sait rien, le temps se finit toujours.
On bouge si lentement qu’on a du mal à repérer d’où on vient, d’où on est parti, ce qu’on a quitté, c’est après, comme une espèce de rassemblement, on sent la pluie qu’on en voit pas encore, la peau à nouveau aveugle, on ne parcourt rien, là où tombe la pluie d’ailleurs rien n’est visible, rien ne bouge.
Au bout on revient, on recommence, on n’y va pas au bout, il y a la falaise, on ne va pas plus loin, plus sûr de ce qu’il y a avant on se protège, du bout vraiment on ne revient pas, le corps s’est ouvert, et la pluie fine mouille tout l’intérieur.
Ludovic Degroote, La Digue, Éditions Unes 1995, (épuisé), pp. 23 à 25
[à suivre : épisode 5 vendredi 4 novembre 2011]