Poezibao a appris samedi le décès de Bernard Vargaftig. Hommage lui soit rendu ici avec une sélection de quelques poèmes.
Passez par ici… mes quatre enfants l’ont appris à l’école, Passez par ici… on se salue, et moi par là… Personne ne croyait si bien dire, personne, ni eux, ni moi. Bonsoir ma cousine et puis voilà. Elle n’avait plus personne. Elle n’a plus personne, elle arrivait de ce dont il ne fallait pas lui parler, et de ce dont on ne voulait plus parler, faites comme si je n’étais pas là. Elle s’appelait Feiga, c’est une cousine germaine de ma mère. Faites comme si je n’étais pas là. Quand je leur ai dit qu’une de mes cousines allait venir habiter chez nous, mes copains de l’année scolaire 47, 48, ont souri d’un air très entendu. Puis ils m’ont dit qu’ils la trouvaient trop vieille et moche. Elle venait d’un camp de personnes déplacées, elle venait du typhus, et avant elle venait de Bergen Belsen, où les SS ne font pas comme si elle n’était pas là. Bonjour ma cousine… Il ne faut jamais lui parler de ça, et avant, elle était dans le ghetto, il ne faut plus lui en parler, je l’ai promis, elle n’a plus personne que nous. Elle est la fille d’une sœur de ma grand-mère… Bonsoir ma cousine, on se salue, et puis voilà…
Bernard Vargaftig, Aucun signe particulier, prose, Éditions Obsidiane, 2007, p. 17
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Petits cheveux où tu t’attardes
(j’entends aussi des portes minuscules)
tu siffles
Aussi vive
Qu’un petit clou
voles ta jupe de souris
la balance qui te farde
Tu t’échappes de tes mains
Tantôt l’ombre sur le seuil
Où je cours comme un enfant
Où je cache mon visage
Rêvant retrouver encore
L’âcre trouble comme un cri
Comme un cercle solitaire
Je te rends qui te ressemble
Le couteau que j’ai volé
Tel affolement changeant
Plein de chiffres et d’entailles
Un seul geste de parole
le chat saute dans l’horloge
l’herbe telle qu’on
la décrit
Un tramway jaune qui attend
J’ai beau fuir mes ressemblances
Tu t’avances
Tout au bord
Bernard Vargaftig, L’aveu même d’être là, le livre du film « Dans les Jardins de mon père », de Valérie Mnetto, écrit par Cécile Vargaftig, Au Diable Vauvert, 2008, p. 151
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La craie ne fait qu’être saisie
Le bercement quand dans l’impatience
La témérité a la forme du vent
Que le vent sépare de l’ombre
Un merle et le sommeil ensemble
Le mûrier si avant d’échapper
Tout se souvenait un effleurement
Dont le voisinage se dévoile
Vitesse la moins immobile
La ressemblance le feuillage la peur
L’inattention en arrière comme
Aurais-je vu pourquoi l’échelle appelle
Bernard Vargaftig, Ce n’est que l’enfance, Arfuyen, 2008, p. 17
bio-bibliographie, extrait 1, prix Nathan Katz 2008, Ce n’est que l’enfance (parution), Ce n’est que l’enfance et Dans les jardins de mon père (par R. Klapka), (et par T. Hordé), extrait 2