François Maubré, de son propre aveu, est un poète nouveau-né. Un très jeune poète en tous cas puisque, quoique venu au monde en 1936, La Tonnelle, son premier livre, paraît en 2008 aux éditions Aspect.
Pour cet “ amoureux de la poésie ”, qui le prouve en contribuant à animer un temps le Club Yvan Goll de Saint-Dié, mais qui longtemps, toujours selon ses propres termes, “ n’y a[urait] rien compris ”, passer à l’écriture, atteindre le terreau d’une expression propre, revient à vouloir rattraper (humblement, gourmandement) le temps perdu et à remettre en cause toutes les certitudes acquises dans le domaine “ littéraire ”, au fil d’une existence. Sa naissance tardive à l’écriture et au désir d’être poète s’apparente pour lui à une métamorphose ou tout au moins à une conversion, au sens où on l’entend dans l’Antiquité, d’un pivotement des valeurs de l’existence.
“ Rattraper le temps perdu ” est ici à entendre de deux façons : mettre les bouchées doubles quand il s’agit d’écrire, afin de rattraper tout le temps perdu à ne pas écrire (ou à ne pas écrire quelque chose qui réponde vraiment à un désir confirmé d’expression – qu’on qualifiera, pour aller vite, de fondé ou d’authentique), et puis partir à la recherche de ce que, faute de l’avoir dit “ à temps ” ou sur le moment même, ce temps semble avoir déjà livré à l’oubli. Il s’agit donc de se faire le témoin, avec retard, dans la distance, dans une certaine urgence, de ce dont bientôt, sans cela, il n’y aurait peut-être plus de trace. Témoin d’une buée qui commence à s’effacer sur la vitre.
Et c’est paradoxalement cette enfance retardée, comme une floraison longtemps repoussée, qui inonde du coup et innerve la parole.
La Tonnelle propose au lecteur l’inventaire, librement composé en chapitres, des événements dont un café nancéen précis a pu être le cadre, à une autre époque, dans l’enfance, précisément. On y rapporte les souvenirs d’un monde entre-temps aspiré par l’Histoire, presque recouvert désormais par ses gravats (houille, minette, ferraille, béton…) des périodes plus récentes : celui des ouvriers de la Lorraine industrieuse d’autrefois qu’il met en scène.
Ce qu’on pourrait à première vue considérer comme des saynettes ou de courtes nouvelles en vers libre se succèdent, en apparence toujours, thématiques (“ Brouillards ”, “ Camarades ”, “ Dimanche ”, “ Le manteau grenat ”, “ La péniche ”…), traversant par là des épaisseurs et des tranches de vies.
C’est la manière qui atteint, par sa modestie même, par la discrète mise en ordre et en marche des images dans une voix une, tenue, tendre, bonhomme et volontiers coquine ou ironique – et qui rend le livre agréable à lire : comme un récit, comme un poème à la fois, sans prétention, à hauteur juste d’émotion et du plaisir des mots choisis, coulés dans une respiration et une voix… Ferveur et fraîcheur (oui, vraiment, bonhommie) sont les principales qualités de ce livre qui, par son thème, se réfère si explicitement et si justement à l’enfance qu’il fallait bien l’évoquer à un moment en ce “ Printemps des Poètes ”.
[Pierre Drogi]
François Maubré, La Tonnelle, éditions Aspect, Nancy, 2008