C’est le comédien Jacques Bonnaffé qui a forgé ce titre, diminutif express entre l’initiale du prénom et le début du nom de Valérie Rouzeau. Laquelle confesse elle-même : c’est mieux que « autoportraits sonnés… ». Car, et c’est la spécificité de ce volume, elle s’essaie et se contraint au sonnet, et plutôt qu’à la forme complexe du sonnet, à la longueur au moins, soit quatorze vers, un peu comme Jean-Pierre Georges l’avait fait avec ses dizains ; le poème doit rentrer en quatorze vers, plus ou moins longs, se condenser, se concentrer dans l’hexasyllabe, voire moins, se dilater, enfler jusqu’à l’alexandrin qui déborde la ligne ou davantage encore, soufflet d’accordéon. Pour être complet, comme pieds-de-nez, on peut en relever trois ou quatre de quinze vers et deux de treize ! On aura saisi le sonnés, qui joue sur les sons, qui sonne, et l’importance des sonorités, des échos, des répétitions, et de la rythmique, mais l’autre terme est aussi important : autoportraits, avec ou sans moi est-il précisé comme par dérision et coquetterie. Donc Valérie Rouzeau se raconte. Et chaque page est une photo, un clip, un mini-reportage. Vrouz dans le train, à l’aéroport, chez la gynécologue, au café PMU… Le poète n’est pas sur son nuage, au-dessus de la mêlée. En train de jouer sur les mots, mentalement, et composer des images factices. Non, elle vit dans le quotidien de tous les jours, si je puis dire. Elle est dans la vie, dans la vraie vie. C’est à partir d’une anecdote, d’une simple réflexion que le poème s’enclenche. Les fumeurs meurent, et de ce slogan antitabac en écholalie, lu sur un paquet de cigarettes, le texte se déroule pour aboutir à une critique de la publicité et du monde capitaliste. On est à la fois dans le sens, réalité ce de qui se passe, de ce qui va, et dans un travail d’écriture où Valérie excelle, fait de sauts de cabri, de pirouettes, de syncopes, de montées-descentes, toutes les figures de style sont mises à contribution, facilement, simplement, sans que ça ne paraisse jamais esbroufe ou tape-à-l’œil. Et cette dimension du sonnet collé semble aller comme un gantelet finalement à son expression. L’oreille est capitale, attrape-tout, et les mots constamment mis en jeu, en joue, en joie. Reprises d’expressions du langage, de slogans, citations, bouts de réclame, de paroles déformées ou fautives, c’est un melting-pot linguistique. Valérie, en notes, donne des éléments d’explication ou de réponse, concernant ses emprunts éventuels, elle aime se situer dans une tradition poétique à laquelle elle participe pleinement, comme pour se fondre aussitôt dans l’évidence d’une poésie contemporaine, française et anglo-saxone, à laquelle elle apporte en toute conscience son chaînon ouvert. Beaucoup de déplacements chez la Rouzeau, les transports en commun où l’on croise maintes gens sont source d’inspiration permanente, à moins que ce ne soit le feuilleton du pucier qui part aux ordures. On n’est pas loin de l’oulipo avec les anagrammes et le goût des lettres croisées, et le brio des surprises, des trouvailles et des inventions en rafales. Retour au sonnet et ses contraintes qui cautionnent toutes les libertés, jusqu’à la sacrosainte majuscule en début de vers, récurrente, en hommage aux devanciers du genre. Le rythme va son tourbillon de l’envol à la clausule. Vingt-quatre images seconde. Le cinéma donne des séances ininterrompues. Courts-métrages, quatorze vers à la page. Et les mots, cabrioles, comptines, saute-mouton, tout est bon, analogies, paronomases, jusqu’aux chiasmes. Cette écriture essentiellement ludique croise des thèmes tantôt légers, tantôt graves, entre enfance et insomnies, entre solitude mélancolie et malice, et de cette alliance d’un style unique et de situations ordinaires bourgeonne un livre étonnant, à l’allure classique, au rendu profondément moderne et virtuose. Quand Vrouz investit une forme, ce n’est pas roupie de sansonnet, elle en fait le tour tout si naturellement qu’elle semble polie à sa main. Certes, Valérie Rouzeau est parolière de chansons, traductrice, revuiste et performeuse… mais elle est avant tout poète, avant tout poète….
[Jacques Morin]
Valérie Rouzeau, Vrouz, La Table Ronde, 2012
A noter également, le dernier numéro du magazine le Matricule des anges est consacré à Valérie Rouzeau.