Le dernier prophète
Le tombeau de Georges Bernanos, c’est
un grand trou noir dans le ciel bleu.
Après sa mort, les monstres avilis de
la « communication », les commerçants
filandreux et les dodus thuriféraires
de la sainte marchandise ont colonisé
l’espace de l’homme. C’est d’ailleurs
ainsi : l’espace publicitaire, le mot
pour rire, le prime-time, les flux de
population, l’audience captive, panel
des consommateurs. Les imbéciles sont
fabriqués en série. La boue visqueuse
d’un chemin en Artois est plus propre
que les canines blanchies des laveurs
de cerveaux patentés de la publicité.
Le tombeau de Georges Bernanos, c’est
un grand trou noir dans le ciel bleu.
Le sel ne sale plus. Les mots perdent
leurs sens. “Civilisation” Ha ha ha !
“Progrès”, “Démocratie” Ha ha hi hi !
Quelques mois avant ma naissance, une
conférence à la Sorbonne le 7 février
en 1947, « Je dis système pour ne pas
dire civilisation... » Sans cesse, le
ciel nous renvoie l’oracle électrique
de la stupidité, répété des milliards
de fois, répété dans l’éther. La tour
de Babel des satellites d’information
nous vomit les mots d’ordre des chefs
du matérialisme capitaliste omnivore.
Le tombeau de Georges Bernanos, c’est
un grand trou noir dans le ciel bleu.
Le curé d’Ambricourt est mort dans un
triste studio de Lille-Sud. Mouchette
s’est enlisée, ensevelie dans la vase
glaciale d’un étang du Pas-de-Calais.
Monsieur Ouine est partout ! Monsieur
Ouine est partout ! Monsieur Ouine se
porte bien ! Il est le ressuscité des
ordinateurs, les robots qui ne disent
plus rien d’autre que oui non oui non
oui non oui oui non non, qui marchent
aux pas des lois : un deux un deux un
deux un droite gauche droite gauche !
Logiciel, ça s’allume et ça s’éteint.
Le tombeau de Georges Bernanos, c’est
un grand trou noir dans le ciel bleu.
Sous la lune ensanglantée, les grands
cimetières prolifèrent. La France, la
fille aînée de l’Église, tend la main
aux peuples martyrisés par les bombes
de fabrication française, les avions,
les missiles, les roquettes, les obus
de fabrication française. Bosnie, pan
pan, Ruanda pan pan, couic couic. Les
chairs. Le sang du Pauvre n’entre pas
dans le calcul du CAC 40. La carte de
crédit doit être présentée à la porte
du club libéral. SDF, SVP, circulez !
Le tombeau de Georges Bernanos, c’est
un grand trou noir dans le ciel bleu.
[...]
Lucien Suel, Petite Ourse de la Pauvreté, Dernier Télégramme, 2012, pp. 13 et 14.
Lucien Suel dans Poezibao :
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