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À ne pas oublier, jamais, du très loin tout près, l’une des « choses » à quoi le consentement est l’énigme la plus calcinante:
« … l’inspiration d’un plan quadrimillénaire disant que le paradis humain commence tout de suite après l’enfer réservé à son prochain… »
La formule est de Karl Kraus, dans le passage suivant de la Troisième nuit de Walpurgis (trad. de l’allemand par Pierre Deshusses, Agone).
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Écrire désormais avec des « avec » qui eurent lieu ici (maison, famille), mais restèrent séparés, ou presque, de la possibilité de phrases.
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Avec... ? Des souffles de cauchemar, parfois...
Mes prétendus poèmes – voire tous mes écrits – auraient-ils de toujours voulu demander ... (hurlant soudain..., affreux...) qu’on leur donne ce dont ils (s’) étaient privés...
– quoi ?
un contour, une enveloppe... ?
Comme si un mendiant excorié, dans l’air acide de la rue, réclamait qu’on lui accorde, enfin, là, une peau...
(on rencontre des insomnies au milieu de la rue)
comme si un passant, se laissant longuement arrêter, devait,
à ce quelqu’un sans contour,
secréter-donner,
de toute la substance de son attention,
ce qui deviendrait, enfin
– pour lui, sans mots ou presque, à vif–
l’enveloppe de son être...
Est-ce donc là ce qui aura rapporté le mode d’existence de mes tentatives de poèmes à, par exemple, cet homme gelé debout
au milieu de la rue ?
Il s’est fait, me dis-je en pérorant intérieurement pour me calmer,
une brève identification entre ce corps d’homme dissimulé-exposé
et le poème cherchant, pour exister, la matière de son bord n’importe où alentour.
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Le perpétuel « etc. »
25 déc. 2011, 9h45. Temps étrangement doux. À travers la baie vitrée : les cèdres tout au fond, vus à travers les branches dépouillées des autres arbres, sur le ciel lumineux nuancé. Le mur à droite… ou plutôt, visible comme elle ne l’est pas dans les autres saison, une complexité étirée en imbrications de plusieurs murs sans âges.
À décrire, soudain, minutieusement ?
Former des phrases pour ce qui a été fait « de main d’homme ».
Des détails se mettent à rayonner sourdement.
La partie la plus proche qui, à droite de la baie vitrée, monte jusqu’à la hauteur du toit, est en pierres non taillées, irrégulières... ; les joints ont été refaits il y a plusieurs dizaines d’années et sont rongés voire évidés par endroits (des moineaux viennent en fouir les cavités)... ; de cette partie en pierres (manifestement la plus ancienne, très épaisse, et ayant dû appartenir à un édifice de jadis) le sommet s’abaisse en une pente incurvée (convexe) jusqu’à la moitié de la plus grande hauteur du mur...
Etc. : je n’ai pas maintenant le temps, ou la place, de poursuivre... : « il faudrait » détailler les différents matériaux, leurs textures à nu, leurs couleurs ou nuances du gris au brun, les végétaux – vigne vierge desséchée, mousses aux nuances de soufre jaune-verdi, etc. :
etc : est-ce le temps qui, là, s’érafle et suinte ?
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prose-poésie ? terreuse, trop douce terreur, de la prose brisée – et par là réelle... prose qui en brisant réalise
maints « avec », nuit et jour : la rue, des gens, la maison, la radio ou la télé, l’internet ... Tout ce qui se redresse, souffle, donne, demande
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Dimanche 21 août 2011.
Au crépuscule d’une journée extrêmement chaude, je pars dans des rues voisines. Dans l’une d’elles, que j’arpente depuis plus de quarante ans, des constructions nouvelles sont apparues depuis peu, et d’autres continuent à pousser ou sont annoncées (panneaux). Tout se donne pour de l’exactement prévu, du pur « fait pour ».
Des murs anciens, longs et déroulés, qui m’étaient jadis, par leur continuité, une aide grise et grondeuse, ont été partiellement abattus. Il y a des entailles blanches dans des déroulements gris probablement séculaires, et des blessures couleur de calcaire fraîchement cassé dans ces ténacités aux rases mousses couleur de cuir...
Tout, à cette heure, dégorge de la chaleur dans l’air. Les choses ont une intensité qui ressemble à du désir. (On ne sent pas, on sait, bien sûr, que tout va bientôt s’effacer dans l’obscurité.)
Sortant d’un des petits immeubles tout récents (en pierres synthétiques), un vieil homme, courbé, corps quelque peu difforme, chemisette blanche, cheveux tout aussi blancs, et mal peignés, se dirige vers une voiture.
Il est accompagné d’un petit garçon – huit, neuf ans ? – un peu gras.
Le garçon parle au vieillard. Sa voix claire et fragile est raisonnable – à faire se fissurer l’instant.
« On est le 21. Maman revient dans deux jours. Tu pourrais l’appeler... »
Pas de réponse.
Son désir d’articuler clairement ce qu’il a dit ou les choses mêmes de la vie dans les heures ou jours qui viennent, n’aura pas trouvé de soutien.
La voix – blanche ? oui, à faire peur –
de l’enfant subsiste
en arrière de moi qui
m’en vais.
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Lire, vite, vite !
Quand un texte commence à exister « pour moi »..., il se met à me regarder autant que je le regarde.
Je ne peux ouvrir un texte sans être ouvert par lui.
Il faut que par lui, obscur et réel, je me sente décomposé en zones dissociées d’où, sans doute, rejailliront des faisceaux actifs, allant fouiller en lui.
[dernier ensemble de cette série demain, jeudi 19 avril 2012 – un PDF de l’ensemble de ces notes sera proposé.]