Mais le piétinement. Les hennissements ronflés
dans la nuit descendue, longtemps se rapprochant
non pas un par un. Mais lentement si lentement liés
tout ensemble par un fil de nuit et de sang. Rumeur !
Quand soudainement. Là. Par centaines, l'iris des yeux
et les naseaux mêlés - lueurs frontales, crins et laines. L'
immense troupeau. Tambourinant. Seul et sur nous bientôt.
Chevaux en tête poulains chevaux de gorge, voix et souffles
montant du flanc des mères. Le martèlement du trot, sabots
les pierres heurtées. L'œil seul regard, l'agate de feu. Chiens,
par deux ou trois. Unique flamboiement, au large. Tournant
rameutant : vaches déjà moutons chèvres, la pleine vague. Et
plus rien. Hormis les traces, sabots marques au sol. Vers l'
arrière - en marge comme d'un drapé, remontant le cours.
Cavaliers !
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Surgis. Un temps dans la lumière, lampe frontale. Voix rauques
les syllabes crachées entre les encolures. Pied à terre, aussitôt
assis sur les talons, ou posés seulement genou au sol. Derrière,
les hongres piaffant, un mètre ou deux s'ils ne les touchent,
cuir contre cuir, chanfreins bas. Repartis déja, c'est tout comme
piochant des antérieurs, poitrail. Longe aux doigts - Tournant
jusqu'à se piétiner. D'une main chasser la croupe dans le noir
naseaux qui ronflent, balançant du col dans le grand voyage
arrêtés soudain détachés du troupeau. Hennissements
un temps encore là-bas, où le piétinement poursuit
Cavaliers !
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Acceptant tartine et bol de thé, deux ou trois gorgées.
L'un d'eux plus âgé - visage de vieux carton, chapeau
les autres plus jeunes. Demandant à fumer - le père sans doute
tabac dans une main la longe, de l'autre roulant sa cigarette
grandes bouffées, braise, unique point rouge. Quand debout
les quatre ensemble, d'un geste ramassant l'uurga jetée à terre
le pied à l'étrier déjà, tournoyant, une main au pommeau
de l'autre la perche qui heurte en montant la selle. Hongres
virevoltant, nerfs en feu. Trois mots un prénom
jeté dans la nuit - Jantsaw, braise aux lèvres
Cavaliers !
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Soudés ! Chevaux et hommes, les uns aux autres
de la peau touchant la terre et l'herbe entre les pattes
frissonne, genou chaud, touchant la nuit d'où ils
viennent avec l'herbe qu'ils poursuivent, et la terre
repartant, trot serré, les talons rentrant dans les flancs
demandant d'où et pourquoi. Surpris. Ou habitués déjà
Chevaux naseaux dilatés robe luisante qui fume, petits
chevaux parmi nous en chemin sous le grand chariot
comme jamais, bergers. Un seul d'entre eux, le père
les autres dans la nuit, muets. Des visages tout au plus
une tartine oui, avalée aussitôt. Feuilles et tabac
remerciant du cadeau - le tout glissé en un éclair
sous la deel. Longeant la route à nouveau si longue
dans la nuit. Sans lumière autre que leurs yeux
Cavaliers !
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Ce que tu fus sans savoir bien ce qui demeure - l'obscur
lacis, l'appoint du gris au soir qui tombe. Tu le croyais.
Être se pouvait-il, libre aux confins de toi sans rien autour
sinon terre et flaques, l'ovale d'un cercle qui se restreint
à mesure que gagne la ténèbre
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Qu'as-tu à voir que tu choisisses d'être là où rien - rien
ne s'écrit qu'herbe rase, le plomb usé des mots. Tu le sais.
Qu'une ombre brisée au vent, le carquois d'herbe sèche
de ce qui s'éveille, désarmé. Un songe amoindri, à peine
le jour s'en empare. La vie pauvre
[choix d'Alain Paire]
Poèmes extraits de Tashuur, Un anneau de poussière, éditions Obsidiane, février 2012, quatre-vingt-neuvième volume de la collection Les Solitudes. Pages 53 - 58.
Jacques Josse a rendu compte de ce recueil sur ce lien du site Remue-net. Dimanche 13 mai 2012, pendant l'émission de France-Culture, çà rime à quoi ?, l'auteur s'entretenait avec Sophie Nauleau à propos de Tashuur, terme qui désigne la petite lanière que les cavaliers mongols gardent à leurs poignets et qu'ils utilisent à la fois comme fouet et comme signe de ralliement. Pascal Commère a tout d'abord évoqué le souvenir de son ami l'éditeur Thierry Bouchard qui enveloppait de papier de soie tous les livres de sa bibliothèque. Il a lu deux blocs de prose de ce recueil, les pages 11 et 67. Son livre fait suite à un séjour de six semaines effectué en Mongolie, en septembre 2005. Dernier livre de Pascal Commère paru en décembre 2011 aux éditions Le Temps qu'il fait, Le petit cheval d'Ostrava.
Pascal Commère dans Poezibao : bio-bibliographie, annonce parution Annonce de passage d’un dix cors….., extrait 1, Graminées et Les Commis (parution), extraits 2