Parmi les intentions des nouvelles éditions Sitaudis1 figure
celle de refuser « épanchements mièvres ou pulsionnels et dispositifs clos
sur eux-mêmes ». Promesse indéniablement tenue avec ce premier ouvrage
dont l’enjeu est exposé par la phrase de Jules Laforgue mise en exergue :
« Moi, n’est, dit-on, qu’un polypier fatal ! »2 En
effet, à travers cette suite de 50 sonnets classés dans l’ordre alphabétique de
leurs titres, de Chapeau (logique) à Zibeline (la poésie pour tenter de
sauver sa peau, malgré tout ?), ce
livre pourrait se lire comme un autoportrait autant constitué que diffracté par
l’écriture, histoire de sonner en échos à cette fameuse affirmation de
Baudelaire : « De la vaporisation et de la centralisation du Moi.
Tout est là. »3
Sonnet signifie ici un texte comptant 14 vers, la plupart du temps non rimés,
disposés le plus souvent ainsi qu’on peut s’y attendre (même si on rencontre
des répartitions moins habituelles que le 4-4-3-3 : 10-4 ; 6-8 ;
2-10-2 ; etc.), ajustés ou pas à la syntaxe selon « le scanseur de la
coupe » et de longueur différente bien qu’approximativement régulière à
l’intérieur de chaque poème, l’alexandrin étant une espèce rare – l’un d’eux
est emblématiquement le premier vers du sonnet intitulé Pavane. Christian Bernard a donc fait le choix d’un format plutôt
court4 que le titre ne désignerait pas seulement car de J. Laforgue
il n’y a sans doute pas à retenir que la thématique d’un sujet aussi incarné
que précaire5, n’ignorant ni sa singularité ni en quoi il appartient
au commun (des mortels – condition fréquemment rappelée), mais également une
tonalité dominante à la fois légère et grave, une danse hantée par sa fin. Se
garder de toute grandiloquence en faisant preuve de lucidité envers ce que peut
la poésie, voilà ce à quoi Petite Forme
semble autant renvoyer : « Tout ce fatras ce foutu petit tas / de secrets
misérables en faire un feu / de joie pleurer deux larmes de lait caillé /
compisser dru les pommiers du jardin / d’Eden » (Chapeau).
Cela dit, pas question de sombrer pour autant dans un minimalisme qui ferait du
poème le lieu d’une platitude creusée jusqu’à l’inconsistance. Bien au
contraire, au-delà d’un subtil travail formel (que le substantif du titre
évoque aussi), ce livre multiplie les degrés et les angles d’attaque du sujet
supposé éprouver ou, du moins, énoncer, tressant éléments autobiographiques les
plus divers (événements intimes ou liés aux activités professionnelles de C.
Bernard6), références dites savantes ou pas (de Lucain à Gaston
Lagaffe) et souvent détournées avec malice (« La prose du monde est
sans pourquoi » ; « l’aurore aux doigts moroses » ;
« Je est un antre une auge un ange un cloaque / de sécrétions »),
réflexions d’ordre philosophique ou métapoétique, etc. En somme, il s’agit d’un
lyrisme à géométrie très variable qui fait que le lecteur trouvera heureusement
de tout, « – Autant d’inventions futiles que de / sémaphores aphasiques
autant de crash / tests que d’anges blancs nickelés » (Multipiste).
[Bruno Fern]
1. Éditions Sitaudis
2. Ballade
3. Mon cœur mis à nu
4. C. Bernard n’oublie pas de saluer celui qui fut le premier à en
écrire en français : « – Merci Marot merci pour cette contrebande des
lignes / comptées quatorze à longueur de temps variable à
discrétion »
5. Les évocations de tout ce qui
touche à « l’autre de soi » ne manquent pas :
photographie, hologramme, clone, fantôme, masque, pantin, mannequin, etc.
– de plus, certains passages sont
imprimés de façon à n’être lisibles que dans un miroir…
6. Concepteur et directeur du Mamco (Musée d'art moderne et
contemporain de Genève). Ancien directeur de la Villa Arson (Nice). Critique
d'art.
Christian Bernard, Petite Forme, éditions Sitaudis,
2012, 12 €. (lire un extrait)
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