Apparaissant, disparate
[…] Donc le chercheur continue de
suivre son idée fixe -fût-elle informulée-, s'abandonnant à sa passion
prédominante dans une course sans fin qu'il aura peut-être raison dénommer une
méthode.
Parfois, dans sa course, il s'arrête, interdit : une autre chose tout à
coup est apparue sous ses yeux, qu'il n'attendait pas. Non pas la chose en
soi de sa quête fondamentale, mais une chose fortuite, explosive ou bien
discrète, une chose inattendue qui se trouvait là, sur le passage. […]
Telle serait la double vie de toute recherche, son double plaisir ou sa double
tâche : ne pas perdre la patience de la méthode, la longue durée de l'idée
fixe, l'obstination des soucis prédominants, la rigueur des choses pertinentes
; ne pas perdre non plus l'impatience ou l'impertinence des choses fortuites,
le temps bref des retrouvailles, l'imprévu des rencontres, voire des accidents
de parcours. Tâche paradoxale, difficile à tenir par les deux bouts -ses deux temporalités-
contradictoires. Temps pour explorer la voie royale, temps pour scruter les
bas-côtés.
Les temps les plus intenses étant probablement ceux où l'appel du bas-côté nous
la fait découvrir pour ce qu'elle était déjà, que nous ne comprenions pas
encore. À ce moment, la désorientation de l'accidentel fait apparaître la
substance même du parcours, son orientation la plus fondamentale.
Devant ces choses fortuites -choses de passage, mais choses apparaissantes-,
nous prend soudain l'envie déraisonnable de tout abandonner et de nous
consacrer, sans perdre une minute, à leur pouvoir de fascination. Légère
angoisse, à ce moment, d'oublier trop vite leur capacité à provoquer, à ouvrir
une pensée. Légère angoisse symétrique de mettre en danger la cohérence du
parcours que cette chose fortuite vient tout juste d'interrompre. »
Georges Didi-Huberman, Phasmes, Essais sur l'apparition, Les Éditions de
Minuit,1998, pp.9-10.
Rédigé par : Tempscontraires | mardi 04 septembre 2012 à 09h37