Poezibao
entreprend aujourd’hui la publication d’une nouvelle série de notes de Claude
Mouchard. Voir ce premier ensemble « Et
si c’était cela vivre ? »
Des notes de Claude Mouchard ont aussi été publiées dans la revue Fario en ses
numéros 8 et 9.
Jeudi 25 octobre 2012 : explosion énorme, dans la nuit, à Khartoum.
Les médias français, pour autant que je sache, n’en n’ont dit mot. Je
l’apprends de la bouche d’Ousmane qui m’a appelé vers 15h, depuis son travail à
Paris (la conversation va durer une bonne demi-heure).
Un dépôt d’armes a été bombardé.
Sa famille a appelé O. de Khartoum (il traduit) : « on a pensé que tu allais t’inquiéter ».
C’est en juillet 2007 qu’O., alors sans papiers, a commencé à habiter chez
nous...
Pendant plus de huit ans (depuis son séjour en Libye puis sa traversée, en
clandestin, de la Méditerranée), il avait perdu tout contact avec sa
famille.
Or, il y a quelques mois, par une brève série de « miracles » (ce fut son mot, prononcé à l’anglaise), le contact
s’est renoué. Et tout récemment, il est rentré pour un mois au Soudan ; il
a acheté – à crédit – une maison où il a rassemblé sa famille, mère, sœurs,
beau-frère, neveux et nièces, dix personnes
– dont une partie était depuis des années dans un camp de réfugiés.
« À Khartoum, m’avait-il dit (au
téléphone, du Soudan), il y a plus de
sécurité. » (Ou : «security » – il a
prononcé ce mot-là aussi à l’anglaise).
Voilà quelque neuf ans, il avait fui son village et les violences multiples qui
s’y produisaient.
Ce village a aujourd’hui disparu.
(Sécurité : il a souvent employé ce mot, à l’anglaise, pour nous reprocher
doucement de mal fermer les portes de la maison, à Orléans.)
La maison tout récemment achetée par O. à Khartoum n’est qu’à 4 ou 5 km de
l’endroit de l’usine bombardée. Toutes les vitres de la maison, lui a dit sa
famille, se sont effondrées (c’est lui qui les avait posées : auparavant
il n’y avait aux fenêtres que, a-t-il dit d’un mot que j’ai eu du mal à
identifier, de la « ferraille »).
À proximité immédiate de l’explosion, il y a eu des morts.
Depuis la maison, on voyait, lui a dit sa mère, des flammes immenses.
........
« Avec Ousmane » : un feuilleton ?
Depuis son arrivée ici – juillet
2007 – « à la maison », son
histoire même a été un feuilleton que jour après jour j’aurai tenté de suivre
par des « notes ».
Ces notes se sont trouvées intriquées à ce qui arrivait, et ne cesse
d’arriver...
Hétérogènes et tressautantes – sous les impacts d’informations diverses et
imprévues.
Intriquées aux décisions qu’a exigées la vie avec O.
Ou « localisatrices » : s’acharnant jour après jour à recréer et
soupçonneusement éprouver de l’ « ici-maintenant ».
Ou de l’ « avec », ou de l’ « entre ».
Attaquant quelle substance revêche de glace sale ?
De ces notes quelques-unes ont été publiées (dans Po&sie). Et O. a pu m’en entendre lire, une fois, en
public : il a, sobrement, acquiescé, pour n’en plus reparler. Je crois
cependant qu’il attend.
..........
Réaliser ?
Pas seulement au sens où on dirait à un enfant : « tu réalises
ce que tu as fait ? »
C’est surtout que ces notes, à tâtons, auront travaillé à un « nous »
problématique et vital ... Avec heurts et doutes, sèches apories, éclaircies,
parfois.
...........
Il n’y a rien d’instrumental pour et
dans ces notes. Nul préalable n’aura pu subsister qui ne s’y trouve soudain,
comme d’un déroulement de langue translucide, vivement happé – et qui n’ait dès lors à devenir, en elles,
vital ...
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NDLR : *le titre de feuilleton est un vers du poète coréen Hwang Ji-U, un ami de Claude Mouchard.
Il faut rappeler que ce dernier œuvre à faire connaître la poésie coréenne en France (voir le
numéro 139-140 de la revue Po&sie : « Corée 2012 »).
« Quand je sens le vent, je
voudrais être nu.
Que dire ? Le chatouillement
métaphysique :
Il me semble que le vent m’habille avec
la peau d’une autre vie.
Le vent m’enseigne que tous les corps
sont
infiniment dans le réel. »
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