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Et cette note encore de ce même début
2008...
Il m’a parlé à plusieurs reprises de « kip » ou « quipe ».
C’est le lendemain seulement que je comprends qu’il use du mot, crucial dans
son travail, d’ « équipe ».
Ce qu’il aura entendu, de la bouche du chef, c’est : « l’équipe » et, tentant de
reconstituer, intuitivement, le système de la langue, et, en l’occurrence, le
singulier et le pluriel, il se sera forgé : « les quipes ».
D’où une « quipe ».
Tâtonner, comme il fait, des mains et pieds, de la tête ou la bouche... dans
des rapports obscurs, dans la langue...
Haleine blanche dans le brouillard de la Loire en janvier.
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La maison... :
« accueillir » dans et par cette maison (re)construite comme
dispositions de possibilités, mais faites, celles-ci, dirait-on – bon gré mal
gré, non sans grincements – pour être prises au dépourvu, et... régulièrement quelque
peu déstabilisées par ce qu’elles ne peuvent simplement nous donner à
reconnaître comme autre ou même.
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Notes, aussi,
d’imbrications : il leur aura fallu – il leur faut ou faudra –
réaliser d’incessants contacts ou des chocs entre cet « avec O. » et
ce qui, simultanément, continuait et continue d’arriver selon les déroulements
d’autres continuités autrement obstinées.
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Notes-traces, parfois, alors, d’autres déflagrations, imprévues, comme sur le
flanc.
Par exemple...
« Ah bah tiens ! » ce
cri-là sonne résonne transit les phrases que je pourrais – trop : en « anecdote » –
former.
Rue de la République, 20 avril 2012, 14 h. : revenant de Carrefour
chargé de deux grands sacs en plastique pleins, j’aperçois de loin un noir
adossé à l’un des murs de ces grands et pompeux immeubles en pierre (façades
théâtrales, volutes) du début du siècle dernier. Il est couvert de vêtements ou
bribes de vêtements ou bouts d’étoffes diverses. Ses cheveux sont longs et
laineux, il est barbu... Poursuivant mon chemin, j’approche, non sans
inquiétude. À la différence des quelques mendiants souvent présents dans cette
rue (sauf, il est vrai, cette Asiatique aux cheveux gris, qui, depuis des
années, tend simplement la main), il n’a pas à côté de lui un gobelet en
plastique avec, dedans, quelques pièces. Et il ne tend pas la main. Me voici
tout près de lui. Il pue. Il ne tourne pas la tête vers moi. Je m’aperçois que
le commerçant à côté de la devanture duquel il est posté se tient sur le pas de
la porte de son magasin ; c’est un traiteur chinois à visage rond, peu
expressif, mais où il me semble déceler du mécontentement contre cette présence
plutôt repoussante. À l’homme noir, je tends une pièce de deux euros. Je crois
sentir le regard désapprobateur, voire hostile, du commerçant. Sans doute
venait-il de signifier au mendiant (en fait ce n’est pas exactement un
mendiant, c’est un égaré qui semble ne rien demander) d’avoir à s’éloigner.
Mais non... il y a sûrement eu quelque chose de plus. Car, à peine ai-je posé
la pièce dans la main de l’homme noir (qu’il n’a ouverte que sous l’effet de
mon contact), à peine y a-t-il jeté un
œil que, sans me remercier, sans me regarder, sans paraître avoir
conscience de ma présence, le voici qui s’écrie (d’une voix plutôt faible, mais
avec une diction pour moi étrangement familière... ou avec une élocution et un
timbre que j’aurais entendus jadis... dans l’enfance ?) :
« Ah bah tiens ! »
... et il s’élance sur les traces du commerçant qui (mécontent, à n’en pas
douter, de mon geste) a déjà disparu dans sa boutique.
Comment ne pas me dire, déjà loin dans la rue, qu’à un homme dans son état, je
ne pourrais jamais proposer de venir s’installer à la maison (comme nous
l’avons fait naguère pour O.) ?
C’est évidemment, me dis-je, non sans dégoût pour mes propres pensées ou pour
mon dégoût à son égard, un cas « pathologique » : accueillir un
homme pareil, ce serait créer une situation inextricable.
L’inextricable, le radicalement entravé : est-ce que je voudrais du moins
l’explorer en toute liberté – et facilité – sensitive-imaginative ?
Revenir là, demain ? revoir cet homme-là ?
Les jours suivants, en repassant dans la même rue aux mêmes heures, je ne
constaterai que son absence...
A-t-il été ramassé ?
Ou bien... où peut-il se terrer ?
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Disparaître ? O., quelques
semaines après être arrivé dans cette maison, m’a fait comprendre qu’il avait
pensé mourir. Non plus par les violences des jenjawids ou de l’armée, mais, au
bord de la Loire, par abandon, en s’abandonnant à l’abandon.
Je suis resté silencieux.
« Bien sûr » a-t-il dit (à
peu près), répondant à mon regard, ou
comme en confirmant à haute voix ses pensées silencieuses.
Deux de ses amis soudanais se sont faits
(que disent ces mots que je trace ici de
ce qu’il a voulu me dire ?) écraser sur un pont ferroviaire au-dessus du fleuve, non loin d’ici.
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Têtues, ces notes, ou certaines d’entre
elles : notes-traces ... sur –
contre ? – l’effacement ...
épisode 1,
2
suite lundi 19 novembre 2012
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